Découverte de la philosophie
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Désir / Passion

1. Analyse du désir et problématique

2. Désir de vie - L'amour, la passion

3. Désir de mort - La haine et la violence

 

Le désir ne se confond pas avec le besoin, ni avec la pulsion. Il est prise de conscience de l'affect (= de la manifestation de la pulsion ou du besoin dans le corps = tension) en général douloureux, et de l'objet qui peut, annuler donc satisfaire la tension. Or, deux pulsions sous-tendent toute l'énergie de notre psychisme : la pulsion de vie et la pulsion de mort.

Le désir s'exprime par le verbe aimer. La satisfaction de tout désir produit du plaisir.

On peut aimer les artichauts, Roméo peut "aimer" Juliette, aimer ses enfants, aimer Dieu, aimer Mozart, aimer le sport…l'on peut même, et cela peut sembler paradoxal, aimer torturer ou faire souffrir, voire tuer. La haine, la jalousie engendrent des désirs de mort. Il existe une infinité de désirs.

La nature et l'intensité des différents désirs sont variables.

L'être humain n'est pas monolithique, il est complexe, il est constitué de plusieurs facettes que Freud nomme  "instances psychiques".

1. Analyse du désir et problématique

1. Variété et ambivalence des désirs

En réalité, l'être humain a peu de besoins fondamentaux : boire, manger, dormir, se protéger, se reproduire, attaquer sa proie. Freud affirme qu'il n'existe que deux pulsions :

EROS et THANATOS (pulsion de vie et pulsion de mort). La palette des objets qui ont permis la satisfaction des pulsions est infiniment variée, à travers le temps et l'espace. D'abord les objets utiles, mais très vite escalade des désirs. La société crée un grand nombre de désirs inutiles. Le progrès technique, la publicité, la mode, la consommation créent une infinité d'objets artificiels mais que nous estimons indispensables. A l'intérieur de la société, il existe, de plus, un phénomène de contagion du désir : on désire quelque chose parce que l'autre le désire.

On peut désirer des boissons particulières (label précis), des mets, mais aussi des signes (vêtements, positions sociales, pouvoir). On peut désirer des êtres vivants, posséder un cheval…des   êtres    humains   (avoir des enfants), des valeurs, la beauté (artistes), la vérité, la foi, et même la sagesse  (= étymologie du mot philosophie : désir de sagesse).

Mais aussi, en raison de l'étayage des désirs sur les pulsions, on peut désirer la mort. Désir de tuer, de se tuer, de blesser, de détruire, de faire souffrir (sadisme), de posséder des fusils, de voir des films violents, de faire la guerre ou simplement de jouer à la guerre. Mais cette constatation nous met d'emblée en face du paradoxe : il existe un désir de mort. Or la mort est l'annihilation de tout désir. Le désir peut-il tendre à sa négation ? A la limite on peut désirer ne plus avoir de désirs (voir Le principe du NIRVANA que FREUD classe du côté de la pulsion de mort (voir cours sur l'Inconscient)

2Ambiguïté du désir

1. La souffrance : Le désir vient d'un manque : on "n'a pas", on est privé de l'objet du désir, sinon, on ne le désirerait pas. C'est ce que pensent Socrate, dans le Banquet, et Hegel dans la Dialectique du Maître et de l'Esclave. Ce manque engendre une tension, une souffrance. Il est une forme de pauvreté ou de misère. C'est pour sortir de cet état que l'être humain agit. Donc il crée un dynamisme, une quête, une action.

2. Le plaisir : Le désir est en même temps une richesse, il engendre du plaisir. En effet, par le biais de l'imagination, la représentation de l'objet qui comblerait le manque (femme aimée, bijou, argent, puissance etc.) peut donner une satisfaction imaginaire, de type hallucinatoire (au sens faible du terme) quelquefois, donc du plaisir. L'imagination déclenchée par le désir produit une satisfaction anticipée du désir. C'est ce qui explique le point de vue de Rousseau sur la nature du désir.

"Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède. On jouit moins de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère, et l'on n'est heureux qu'avant d'être heureux. En effet, l'homme avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu'il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l'objet même ; rien n'embellit plus cet objet au yeux du possesseur ; on ne se figure point ce que l'on voit ; l'imagination ne pare plus rien de ce qu'on possède, l'illusion cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d'être habité, et tel est le néant des choses humaines, qu'hors l'Etre existant par lui-même, il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas".                                        
J.J.ROUSSEAU

3. Double origine du désir

a) Naturelle

Le désir se greffe d'abord sur le besoin. Le besoin est une tension interne qui vient de notre nature biologique. Pour vivre, il nous faut combler des besoins essentiels : chaleur, air, nourriture, soif, sexualité, agression…Mais tandis que les besoins peuvent être comblés avec n'importe quel objet de la catégorie du besoin, liquide pour la soif… n'importe quel aliment pour la faim etc., le désir implique un choix. Le sujet veut boire du Coca cola ou du cidre. (Voir § 1)

b) Culturelle

En réalité, c'est la famille et la société qui proposent des objets particuliers aux  divers besoins. Les désirs varient selon les époques, les lieux, les civilisations, les milieux sociaux. Les connexions qui s'établissent entre le sujet et les objets de ses désirs ne dépendent pas de son propre choix. Freud a montré combien "Le "moi" n'est pas maître dans sa propre maison", c'est-à-dire à quel point nous ne sommes pas libres de nos goûts, de nos choix, et même du plaisir que nous ressentons dans la possession de tel ou tel objet. Nos désirs sont modelés quelquefois forgés de toutes pièces par la société. Un véritable conditionnement se crée au cours de l'éducation. Aujourd'hui, la publicité nous influence beaucoup plus que nous n'en sommes conscients.

4. Double nature du désir.

A. Il est conscient. Chaque homme est capable d'identifier, de se représenter, de nommer, de décrire ses désirs.

B. Il est inconscient. Les connexions établies entre les besoins du sujet et leurs objets de satisfaction, sont indépendants de sa volonté, de sa liberté, de son choix. Il s'est établi un "câblage" inconscient dont l'origine est oubliée par la conscience. C'est la raison pour laquelle on n'est pas maître de ses propres désirs, même de ceux dont on est conscient. Il arrive qu'on désire ou qu'on aime des êtres qu'on voudrait ne pas désirer. Nous pouvons être désolés de ressentir de la répulsion pour des êtres que nous aimerions aimer ! L'expression : "C'est plus fort que moi" le montre bien. Pour des spécialistes, il est possible et tentant de jouer sur nos désirs inconscients. Il existe des techniques de déplacements des désirs : Une superbe femme à côté d'un verre de bière de telle marque, permet de valoriser la bière par le jeu du glissement inconscient du désir sexuel chez l'homme, et par le désir d'identification des femmes à la

L'amour est un sentiment qui semble naviguer entre le désir et la passion, pour le commun des mortels. Peut-il aller au-delà, prendre de l'altitude et devenir sublime ? Des êtres d'exception nous enseignent un amour  qui est bienveillance, bonté pure, don absolu de soi, et qui n'a rien à voir avec cet échange libidinal que nous décrit Freud. Y avons-nous accès ?

Le désir peut se transformer en amour, en amitié, en charité ou encore s'hypertrophier en  passion sentiment limite entre le désir de vie et le désir de mort. Enfin, le désir peut  s'exprimer à travers toutes les formes de la violence.

Analyse des termes

DESIR  : tendance qui nous pousse  à nous représenter consciemment un objet (chose, être, valeur ou état), à nous en rapprocher pour le consommer, le détruire ou nous unir à lui.

"Le désir est un appétit dont on a conscience." (Spinoza).

"Le désir est l'essence même de l'homme " (Spinoza).

AMOUR : L'amour est au sens large un ensemble de sentiments et de désirs qui se portent sur une personne et en attendent une réciprocité. L'amour conduit à l'établissement d'un lien unique, d'un partage, d'un échange, d'une communication, voire d'une communion physique et surtout il est générateur de plaisirs (= amour-eros).

"L'Amour est la joie qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure. (…) La joie est le passage de l'homme d'une moindre à une plus grande perfection." Spinoza, Ethique, III

L'amour est une puissante force d'attraction et de liaison.

AMITIE : attachement réciproque des individus fondé sur un sentiment de bienveillance et de désir de bonheur à l'égard de l'autre sans lien physique. Ce sentiment a joué un grand rôle dans l'histoire de la philosophie. Cf. la relation Maître / disciple.
L'amitié inclut l'amour filial et parental.

L'amitié peut se métamorphoser en générosité pure, don total de soi (= amour-agapé) c'est à dire en charité.

PASSION : Trois sens

1. Sens étymologique : état d'un sujet qui subit une action. Correspond à la forme grammaticale du passif, = passivité. C'est souvent cette signification que les Anciens donnent à la notion par exemple la "passion" du Christ. Ils l'opposent à l'action et à la volonté.

2. Sens faible : Le passionné en caractérologie, est un individu qui a de forts intérêts, de puissantes motivations. Il sait orienter sa vie en fonction de ses désirs.

3. Sens fort : Hypertrophie du désir (intensité maximale) et polarisation sur un seul objet (fixité). Dérèglement, dépassement des limites. La passion est un sentiment qui déborde sur la violence. Il existe également un très grand nombre de passions.

HAINE  : le désir de mort peut prendre différentes formes, la colère, la jalousie, la volonté de puissance, le mépris … La haine vise au plaisir de voir l'autre souffrir ou mourir. Ce désir est  destructif : attaquer, exploiter, agresser, blesser, réduire, dévorer, désagréger, détruire, tuer, anéantir…en produisant de la souffrance chez tous les êtres animés et du plaisir chez l'acteur.

PROBLEMATIQUE

Le désir de vie est-il l'expression de la vie, une force, une richesse, le moteur de notre dynamisme et de tout progrès ? Une composante du bonheur ? Ou bien, au contraire une faiblesse, un manque, une pauvreté, une imperfection qui nous fait souffrir et nous rend malheureux ? Est-ce par l'accomplissement de tous nos désirs que nous pouvons accéder au bonheur ? Ou bien l'obéissance à tous nos désirs fait-elle de nous des esclaves, des êtres capricieux et finalement des tyrans ? Faut-il sélectionner nos désirs et en préférer certains ? Lesquels ? Sur quels critères choisir ? Et avons-nous la possibilité de les gérer. Est-ce par la maîtrise de nos désirs que nous accédons à la liberté ? "Il faut changer mes désirs plutôt que l'ordre du monde", écrit Descartes dans Le Discours de la Méthode. Mais est-ce possible ?

N'est-il pas préférable de les supprimer ? Peut-on désirer l'extinction des désirs comme le préconisent les Bouddhistes ? N'est-ce pas là un paradoxe ? L'extinction des désirs  conduit-elle au Nirvana ou à une forme de mort ?

L'amour n'est-il qu'un sentiment qui oscille entre le désir et la passion (Eros) ou d'une toute autre essence ? N'est-il qu'une socialisation du désir sexuel ou au contraire véritable ouverture à l'autre, bienveillance, générosité, oubli de soi (Agapè) ? D'où vient cette force, et quelle en est la nature ? Cette force est-elle d'origine divine ? Les croyants affirment que Dieu est amour. Est-elle cosmique, de même nature que les différentes "forces d'attraction" qui "tiennent" l'univers et fabriquent le monde en permanence et sans la présence desquelles l'univers se désagrégerait instantanément ? Est-elle de nature sexuelle, nécessairement libidinale et égoïste comme le pense Freud ?  L'amour est-il une simple affaire d'hormones ? Y a-t-il plusieurs sortes d'amour ? Tous les êtres humains qui peuplent le monde semblent avoir été produits à partir d'un acte d'amour. Mais tous les animaux aussi ! Toute copulation implique-t-elle de l'amour ? La haine et le mépris peuvent aussi faire naître des enfants : le viol engendre la vie !  Il ne faut donc pas confondre l'amour et la vie. Pourtant l'amour est nécessaire à la vie. Le manque d'amour rend malade affirme Freud. L'être humain peut "mourir d'amour" c'est-à-dire de ne pas être aimé ou d'avoir perdu l'être aimé. (Cf. le récit de Zorn, Mars). L'amour est une "qualité" qui s'ajoute à la vie. Il peut aider à guérir, quelquefois sauver la vie.

Peut-on aimer quelqu'un que l'on ne désire pas ? L'amour peut-il se commander, obéir à un devoir  ? Toute la civilisation judéo-chrétienne est fondée sur ce commandement : "Tu aimeras Dieu et ton prochain comme toi-même." Et pourtant ne devons-nous pas faire un constat d'échec ! Notre civilisation n'est pas aimante. L'amour n'est-il pas complètement indépendant de notre volonté ?

L'amitié n'est-elle pas vécue comme une sorte de grâce, un don magique, qui nous relie d'une manière unique, lumineuse, privilégiée à un être, d'une manière durable ? D'où vient ce choix, cette préférence ? (Cf. Montaigne : "Parce que c'était lui, parce que c'était moi".) Sur quoi est-elle fondée ? Nous sommes-nous pas tous "aimables ?" Qu'est-ce qui distingue l'amitié de l'amour ? L'amitié est-elle une expression la plus subtile de l'amour ?

La passion n'est-elle qu'une exagération du désir, un tour que nous jouerait notre bestialité ou la manifestation d'une ivresse divine qui nous ouvrirait le ciel ? Est-elle une folie passagère, "une maladie de l'âme" dit Kant, un incendie qui nous consume ? Ne sommes-nous pas piégés dans une illusion totale qui nous fait projeter sur l'Autre tous nos fantasmes et notre désir d'absolu ? Nous prive-t-elle de notre liberté ou bien est-elle ce qui rend la vie passionnante et digne d'être vécue ?  N'est-ce pas dans la passion que nous vivons les instants les plus intenses et les plus heureux de notre vie ? Mais aussi les plus douloureux ? Qu'est-ce qui la rend si éphémère ? Pourquoi s'éteint-elle nécessairement ? Pourquoi n'est-elle pas viable ?

Le désir et la passion n'enferment-il pas le sujet sur lui-même? Ne sont-ils pas de nature profondément égoïste. La passion serait-elle à mi-chemin entre le désir de vie et le désir de mort ?

La HAINE qui se manifeste dans la VIOLENCE est-elle assimilable au MAL ? Le désir de mort est-il une composante du malheur ? Est-elle le MAL ? Ou bien la violence est-elle, comme le dit Hegel, une force nécessaire qui "travaille" le monde, la "négativité" qui le fait évoluer ? Le mal réside-t-il plutôt dans la violence consciente et volontaire émanant de l'homme  ? Le rôle de la société n'est-il pas de se protéger de la violence de la nature et de freiner le désir de mort de l'homme ? Les religions, l'art, les institutions, les lois, les rites, le sport, l'éducation …n'ont-ils pas, en effet, pour fonction première de supprimer la violence, en la canalisant, en la dérivant, en la refoulant, en la sublimant…? Mais pourquoi la violence humaine est-elle si paradoxale et si paroxysmique? L'homme est en effet le plus cruel des êtres vivants. Son désir de mort, qu'Erik Fromm appelle "agressivité maligne", n'a plus rien de commun avec l'agressivité que l'on trouve chez les animaux : "l'agressivité bénigne". Est-ce la société qui a "réussi" ce prodige de conduire de nombreux hommes au paroxysme de la haine, à la barbarie ? Qu'y a-t-il de pervers dans la gestion humaine de la violence pour qu'elle soit  exacerbée au point de dériver vers des formes si monstrueuses qu'il n'en existe aucun exemple dans la nature? Ou alors les hommes violents sont-ils ceux qui ont mal intégré les codes de la civilisation ? La violence ne vient-elle pas d'une faiblesse psychologique ou morale, de l'incapacité d'aimer ? Devient-on la première victime de sa propre violence comme le pensent Platon ou les Bouddhistes? Vaut-il mieux subir la violence que la commettre ?

Peut-on lutter contre la violence ? Contre la violence n'y a-t-il que la violence qui soit efficace ? Une violence peut-elle être "juste" ? Le désir de vie peut-il se traduire par la violence ? Les luttes dont la finalité serait le bien de l'individu, son salut, son intégration dans la société, sa liberté sont-elles légitimes ? Y a-t-il des guerres justes comme par exemple la lutte armée contre les tyrannies, la barbarie ? A-t-on raison de former des brigades spéciales "antigang", "anti-terroristes", troupes de choc et d'intervention rapide pour lutter contre le terrorisme, les prises d'otages ? Des révolutions sanglantes comme celle que préconise Marx pour sortir l'humanité de l'injustice peuvent-elles se justifier ? Ou bien la violence entraîne-t-elle nécessairement la violence, dans un cycle impossible à rompre ? Faut-il renoncer à lutter contre la violence, voire adhérer aux "philosophies de la violence", (Hegel, Marx) et utiliser la violence comme un outil de transformation politique, ou l'accepter comme un destin, (Nietzsche). 

Est-il souhaitable, est-il possible, cependant, de mettre fin à la violence ? De se protéger de celle de la nature, et du désir de mort qui est tapi au fond de chacun de nous ? Y a-t-il dans notre cerveau profond, un centre de la violence que les progrès de la génétique pourraient un jour supprimer ? Ou bien la réalisation de la non-violence passe-t-elle plutôt par la volonté et la conscience ? La création artistique, la méditation, sont-elles des chemins vers la réalisation de la paix ? Existe-t-il quelque part dans le monde une "région", un état (=une situation) sans violence ? La disparition de la violence apporterait-elle la paix ? La paix serait-elle une stagnation, nous conduirait-elle à l'ennui ou serait-elle un tremplin vers le bonheur ? Mais le contraire de la violence est-il la paix ou la douceur de l'amour ?  Ne sommes-nous pas aussi des êtres d'amour ?  Le paradis, dans lequel aucune violence n'existerait, où tout ne serait qu'harmonie, lumière et amour n'est-il qu'un mythe ? Une éducation qui ne privilégierait que  le désir de vie permettrait-elle l'extinction du désir de mort ?

2. Désir de vie - L'amour, la passion

L'AMOUR

L'amour est régulateur de l'énergie. Normalement, il stimule l'équilibre, la santé physique, l'épanouissement de l'être, il engendre la joie, l'intégration sociale, les projets constructifs, bref, la fécondité et la créativité sur tous les plans.

. L'amour-désir     

. L'amour blessure.

Partons des images symboliques de l'amour :

1. Eros est un petit enfant ailé armé d'un arc et de flèches.

2. Un cœur percé d'une flèche.

L'amour est d'abord un élan de vie, de santé et un état d'euphorie qui nous donne des ailes. Mais pourquoi ce thème récurrent de la blessure  ? L'amour commence avec une blessure invisible, indolore au départ, comme si le cœur se "crevait" en douceur. Cette souffrance est douce, elle nous fait tomber dans cette "maladie  d'amour" si agréable. Cependant, peu à peu les énergies (pensées, volonté, imagination, émotions, sentiments, inquiétude….) viennent s'engouffrer dans cette brèche. Le flux augmente, se déchaîne et se métamorphose en véritable séisme : incendie, flamme, embrasement, "coup de foudre", l'amoureux brûle, se consume. L'amour est une chute. L'expression "tomber amoureux" traduit bien ce sentiment de d'entrer dans une sorte de pathologie.  La brèche se fait "trou noir" vampirisant.

Qu'y a-t-il  "derrière" ou au fond de ce "trou"  ?  L'autre !

L'amour choix

Il semble à première vue que ce soit l'Autre, l'être aimé, celui que l'on a élu, préféré, choisi comme exceptionnel, unique entre des millions d'autres. L'amour est d'abord élection, sélection. L'être aimé est irremplaçable. C'est lui, sa présence, qui donne au monde son relief, sa lumière et sa raison d'exister. Cf. Lamartine : "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé".

 L'autre, l'être aimé, est à la fois celui qui est à l'origine du manque et celui qui peut le combler. Le seul désir des amoureux est de se fondre l'un dans l'autre, d'abolir définitivement la distance physique qui les sépare.

"Désirez-vous former un seul être, que ni nuit ni jour vous ne soyez éloignés l'un de l'autre  ? Si c'est bien votre désir, je vais vous fondre et vous réunir en un seul et même être" Le Banquet (192d-e).

 Freud analyse ce désir comme une tentative névrotique pour reconstituer l'unité primordiale avec l'image de la mère, afin de surmonter la coupure de la "castration" que représente la séparation c'est-à-dire la naissance. Puisque cette fusion est impossible, alors elle est remplacée par l'offre totale de soi, la négation de soi-même.

L'amour don
La présence de l'être aimé est tellement intense et indispensable, que l'on voudrait renoncer totalement à soi-même pour tout lui donner. L'amour apparaît comme un désir de don absolu, un état de générosité pure parfaite. L'être aimant est prêt à tous les sacrifices pour l'être aimé : son temps, son énergie, son argent, et même sa vie. Il est grand, héroïque, sublime. Il jure que son amour est éternel. L'amour nous grandit, nous nous sentons de l'étoffe du saint.

L'amour est à la fois enfant de "richesse" et de "pauvreté" affirme Diotime dans Le Banquet de Platon.

L'amour-passion

Qu'est-ce qui nous "foudroie" dans l'autre, que nous aimons brutalement sans le connaître. N'est-ce pas un détail, le timbre de la voix, une allure générale, un air de ressemblance imperceptible, une odeur, un type de beauté particulier, souvent quelque chose d'ineffable  ? Car, ce n'est pas un être tout entier que l'on aime au commencement, mais une partie, un aspect de lui-même. Ce détail infinitésimal dont  Pascal se moque tant dans le texte suivant :

"Qui voudra connaître à plein la vanité de l'homme n'a qu'à considérer les causes et les effets de l'amour. La cause est un je-ne-sais-quoi (Corneille), et les effets en sont effroyables. Ce je-ne-sais-quoi, si peu de chose qu'on ne peut le reconnaître, remue toute la terre, les princes, les armes, le monde entier. Le nez de Cléopâtre : s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé". Pensée 162.

Or l'essence unique de chaque être ne se trouve pas dans les détails de son apparence. L'amour est métonymique. Il ne va peut-être pas à l'essentiel.

C'est à partir d'un "détail" que s'opère une construction idéale : la cristallisation.

"Aux mines de sel de Salzbourg, on jette dans les profondeurs abandonnées de la mine, un rameau d'arbre effeuillé par l'hiver ; deux ou trois mois après on le retire couvert de cristallisations brillantes : les plus petites branches, celles qui ne sont pas plus grosses que la patte d'une mésange, sont garnies d'une infinité de diamants mobiles et éblouissants ; on ne peut plus reconnaître le rameau primitif. Stendhal, De l'Amour.

L'amour illusion

Peu à peu, l'être aimé est divinisé, idolâtré. Mais d'où vient cette perfection qu'on lui attribue  ? Qui aime-t-on vraiment  ?  Est-ce bien l'autre dans son altérité pure.

Selon Aristophane, dans Le Banquet de Platon, à l'origine, chacun de nous aurait été coupé en deux. L'amour est la quête de notre moitié perdue. Jadis, l'espèce humaine était de "forme ronde", se sentant toute puissante, elle chercha à escalader l'Olympe pour attaquer les dieux. Pour punir les hommes, Jupiter les coupa en deux. L'amour s'expliquerait par un manque originel et en définitive la quête égoïste de soi-même. (Freud voit dans cette attitude narcissique, non seulement le désir d'une régression au stade fœtal, (bisexualité, boule), mais aussi et surtout l'expression d'une pulsion de mort).  L'être aimé n'est-il pas un fantasme que nous nous sommes construit à partir de nous-mêmes  ?

L'amour de soi

Que l'autre "adoré" nous quitte pour un nouvel amour, qu'en est-il de toute cette oblation en cas de trahison  ? Nous sommes inconsolables, désespérés, le monde est "dépeuplé".

- Ou bien notre refus de renoncer à cet amour se traduit par la transformation de l'être aimé en idole. On finit par "embaumer" son amour, on lui fabrique un "sarcophage creux" à la ressemblance d'une mythologie qui est propre à soi-même. C'est le déni de la réalité. Loin de renoncer à l'amour, le sujet se noie de l'idolâtrie, projection de son illusion amoureuse, et consolidation sous cette forme figée et morte.

- Ou bien l'effondrement se métamorphose amertume, jalousie, colère, le plus souvent en haine, quelquefois en crime réel ou fantasmé : l'assassinat du rival. (Cf. E.Weil)

Qu'est-ce que cela nous montre ? Que l'amour n'est peut-être qu'une simple mise en relation avec soi-même. La brèche ouverte n'est orientée que vers notre propre monde invisible, caché, oublié, refoulé. L'autre, sans que nous le sachions, a allumé une connexion avec une blessure originelle, un premier amour perdu. Notre sentiment de dépossession de nous-mêmes n'a été en réalité qu'un transfert de soi-même. Le sujet se sclérose dans son propre mythe.

Théorie de Freud

L'amour est d'abord amour de soi-même, à travers l'autre. L'amour est essentiellement égoïste, telle est la thèse de Freud : "L'amour est la relation du moi à ses sources de plaisir."

Cette définition de l'amour se fonde sur une conception "économique" de l'homme: la "monnaie" de base étant le plaisir. Toutes les attitudes de l'être humain expriment un type de gestion de ses plaisirs. L'inconscient est le grand stratège de ce "calcul". Le choix du partenaire ne s'explique que par le plaisir qu'il déclenche chez le sujet (ce plaisir peut être de différents types : affectif, olfactif, oral, intellectuel , sexuel surtout…) et par sa ressemblance avec un objet d'amour ancien, dont il réactive le souvenir inconscient.
"Lorsque l'objet originaire d'une motion de désir s'est perdu à la suite d'un refoulement, il est fréquemment représenté par une série infinie d'objets substitutifs, dont aucun ne suffit pleinement […d'où…] l'inconstance dans le choix d'objet, la faim d'excitation qui caractérise si fréquemment la vie amoureuse des adultes."    Freud, La Vie Sexuelle.

Conception pessimiste d'un sentiment qui ne peut être qu'égoïste. Mais aussi conception réaliste. Nous sommes tous ainsi faits !
Au fond de nous-mêmes, lorsque nous cherchons l'amour de quelqu'un, en réalité nous anticipons toujours le plaisir dont nous allons bénéficier grâce à cet autre. Si nous désirons faire plaisir à quelqu'un, c'est toujours dans l'intention de nous faire plaisir à nous-mêmes. Aucun geste n'est gratuit. Etre bon avec l'humanité souffrante, c'est faire plaisir à sa propre conscience, le bénéfice est immédiat : l'obtention d'une satisfaction narcissique de premier ordre, la "bonne conscience". Nous affirmons ainsi notre supériorité sur l'autre. Toute charité serait nécessairement teintée de pitié et en définitive pure manifestation de notre égoïsme. Si nous aimions vraiment l'autre pour lui, nous devrions éprouver le bonheur désintéressé de le voir heureux et épanoui avec quelqu'un d'autre. Cet amour-là est-il possible ?

"Les philosophes et théologiens même distinguent deux espèces d'amour, savoir l'amour qu'ils appellent de concupiscence, qui n'est autre chose que le désir ou le sentiment qu'on a pour ce qui nous donne du plaisir, sans que nous nous intéressions s'il en reçoit, et l'amour de bienveillance, qui est le sentiment qu'on a pour celui qui par son plaisir ou bonheur nous en donne." Leibniz, Nouveaux Essais sur l'entendement humain, L.II, chap. XX.

Le grec a deux termes pour signifier l'amour : eros  et  agapè.

Eros est l'amour "érotique" c'est-à-dire sous tendu par le désir, celui dont nous venons de parler.

Agapè est l'amour du cœur et de l'âme. Les Chrétiens le traduisent par "charité".

L'amitié, au sens large donné par Aristote, qui concerne tous les liens de bienveillance, y compris les liens de parenté, n'est-elle pas une forme supérieure de l'amour ?

L'AMITIE

a.  L'amour parental

Les textes bibliques nous donnent, entre autres, des exemples, d'un amour maternel ou  paternel au-delà de tout désir.

Dans l'Ancien Testament, il est question d'une femme qui est prête à renoncer au plaisir de vivre avec son enfant, et même au bénéfice social que lui donnerait cet enfant, en faisant d'elle une mère aux yeux de la société. Le Jugement de Salomon, nous montre cette femme faisant cadeau de cet enfant à l'autre femme qui dit être sa mère, plutôt que de le voir coupé en deux.

Dans le Nouveau Testament, la parabole du fils prodigue montre un père infiniment aimant. Son fils, non seulement lui a soutiré son héritage avant qu'il ne soit mort, sorte de vol et de parricide symbolique, mais de plus, il a dilapidé cet argent dans le luxe et la débauche. Lorsque ce fils revient ruiné, le père le reçoit les bras ouverts, et fait "tuer le veau gras" pour lui. Pardon, don gratuit d'amour pourtant immérité…

b.  L'amitié

L'amitié est plus proche de la bienveillance. Elle ne vise pas à la possession de l'ami. Elle se réjouit de son bonheur même s'il est indépendant de lui. L'amitié repose sur un partage d'intérêts, de goûts, d'idées, une ressemblance de caractère. Elle est vécue comme une "fusion de consciences". Les Anciens nous ont laissé de très beaux éloges de l'amitié.

Pour Aristote, l'amitié désigne des relations aussi variées que les relations du commerçant avec son client, les rapports de voisinage, les relations du mari et de sa femme, l'amour paternel et l'amitié proprement dite qui relie deux êtres par choix. L'amitié comporte plusieurs degrés. Elle repose essentiellement sur la vertu, l'honnêteté. Celui qui est vertueux désire ce qui est bien autant pour lui que pour les autres.

Saint Augustin :

"Je m'étonnais de voir vivre les autres mortels, puisqu'il était mort celui que j'avais aimé comme s'il n'eût jamais dû mourir ; et je m'étonnais davantage, lui mort, de vivre, moi qui étais un autre lui-même. Quelle heureuse expression a su trouver, parlant de son ami,  le poète qui l'appelle "moitié de son âme". Oui, j'ai senti que son âme et la mienne n'avaient été qu'une âme en deux corps ; c'est pourquoi la vie m'était en horreur, je ne voulais plus vivre, réduit à la moitié de moi-même. Et peut-être ne craignais-je de mourir que de peur qu'il ne mourût tout entier celui que j'avais tant aimé."  Augustin. ("âme en deux corps" = expression dans La vie d'Aristote, de Diogène Laërce.

Montaigne :

"Nous nous cherchions avant que de nous être vus (…) ; nous nous embrassions par nos noms. Et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si obligés entre nous, que rien dés lors ne nous fut si proche que l'un à l'autre (…). Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : "parce que c'était lui ; parce que c'était moi."                 
Montaigne.

L'amitié, si dégagée qu'elle soit du désir sensuel, n'en reste pas moins amour d'un reflet de soi-même. C'est ainsi qu'Aristote définit l'ami : "miroir de soi-même".
 

La charité ou l'amour de l'âme

Les traditions spirituelles et philosophiques, ont gardé le souvenir d'êtres doués d'un exceptionnel rayonnement, (à travers le temps et l'espace) capables d'un sentiment qui se situe loin au-delà de l'amour-désir et de l'amour-passion, dans le "Cœur" et dans "l'âme".

1. En Orient : le symbole de l'amour n'est plus le cœur percé, mais le lotus épanoui.

Les Orientaux, en Inde, dés la période des Upanishad, (- 800) parlaient déjà du "lotus du cœur". LeYoga, théorie des çakras (= centres d'énergie, voir Conscience p.13), puis plus tard le bouddhisme situent au niveau du "centre du Cœur" le véritable amour.  Ce centre du cœur se trouverait au 4eme  niveau. (Rappel des trois premiers niveaux : 1. Désir-sensation, 2. Emotion,  3. Pensée). Dans ce référentiel la théorie de Freud ne concerne que les trois premiers niveaux et suppose qu'il n'existe rien au-delà.  

Le lotus est une fleur qui s'épanouit sur des eaux dormantes et marécageuses. Eclose dans un milieu souillé, elle n'est pas souillée par lui. Sa pureté et son éclat tranchent avec son origine. Il représente une forme d'épanouissement spirituel.

L'amour qui émane du "Cœur" n'a plus rien à voir avec l'amour qui émane du désir. Le symbole du cœur est "le lotus aux 8 pétales" (il existe, selon les différentes traditions, d'autres lotus à 12, 16, 32, 1000 pétales, correspondant à des niveaux d'évolution spirituelle).  Les qualités d'énergies qui partent de ce centre de cœur sont :

La compassion, le sens du pardon, la tolérance, l'humilité, l'optimisme, la confiance, la dignité, l'estime de soi, la générosité pure, la paix, l'harmonie, la sérénité, la joie pure…

C'est bien là le modèle des grands saints dans les différentes religions, être de lumières qui ont impressionné tous  leurs contemporains. Les Chrétiens voient dans le Christ un être de cette nature, un homme-Dieu. Les Orientaux y reconnaissent leurs grands sages : Bouddha. (Voir dans  l'iconographie bouddhiste les sourires infiniment sereins et compatissants des  bouddhas khmers.) L'accès à ce niveau d'être demande presque toute une vie d'efforts, de travail sur soi.

La plupart des hommes vivent ces énergies sur le mode négatif. Elles sont dégradées et comme inversées, à travers les sentiments suivants : Mépris, intolérance, volonté de puissance, culpabilité, paranoïa, colère, angoisse, jalousie, haine, envie, voracité, dépression, agitation (stress), tristesse. L'amour désir et l'amour passion, traînent avec eux tout ce cortège de sentiments négatifs. Un homme peut, en effet, avoir tous ces défauts et être amoureux, au sens freudien du terme.

PLATON, dans Le Banquet, par l'intermédiaire de Diotime (l'initiatrice de Socrate), affirme que le désir peut et doit se sublimer en amour idéal en se métamorphosant à travers plusieurs étapes. Diotime décrit une alchimie du sentiment amoureux, dont on peut, comme d'un parfum obtenir la quintessence. L'amour n'est pas la quête de sa propre moitié, mais plutôt une énergie puissante (un démon : une force surnaturelle chez les Grecs), qui nous conduit au divin. Diotime propose une "dialectique" de l'amour, un "itinéraire" du sentiment amoureux, qui fait évoluer le désir à travers  un dynamisme vertical.

Première étape :

"l'amour d'un beau corps" : l'expérience de l'amour sensuel, éros, est déjà libératrice à sa manière, puisqu'elle engendre de "beaux discours". La créativité est déclenchée par le désir. Tous les amoureux se sentent l'âme de poètes ou d'artistes. La séduction passe par le langage, et l'art.

Deuxième étape :

 "l'amour de tous les beaux corps" : l'extension du désir à tous les corps libère du désir de la possession d'un seul corps. Il s'agit là d'ouvrir son regard à la beauté des corps en général, de leurs formes, et par conséquent de devenir esthète.

Troisième étape :

 l'amour d'une belle âme, même si le corps est "modeste" c'est-à-dire non attirant. Son désir se détache de plus en plus de la matière, car sa seule préoccupation consiste en l'éducation de cette âme, la nécessité de "l'élever jusqu'à la science".

Quatrième étape :

l'amour de tout ce qu'aiment les belles âmes : les sciences, la morale, la beauté. En effet si une belle âme aime des valeurs comme l'étude de la vérité (mathématiques, astronomie), la morale, c'est-à-dire la beauté des actions et la quête de la justice dans l'organisation de la cité, et enfin la connaissance du beau, alors ces valeurs sont au-dessus des âmes elles-mêmes. L'évolution de l'amour se fait par glissements ascensionnels successifs jusqu'à l'apothéose finale.

Cinquième étape :

 l'amour de l'océan de beauté éternelle, le divin, l'initié parvient à ce moment au terme de sa quête. Les "mystères de l'amour" lui sont révélés. Cette "beauté d'une nature merveilleuse", "éternelle", dont "toutes les autres choses" participent, est en même temps le Vrai et le Bien c'est-à-dire le divin. Celui qui a atteint ce stade, "enfante la vertu véritable", il est "chéri des dieux", et il lui appartient "si jamais homme peut devenir immortel, de le devenir aussi".
A ce stade l'homme est transformé en un sage, un être de lumière.

2. L'amour charité dans la tradition judéo-chrétienne.

Les religieux affirment que Dieu est amour. L'amour humain doit devenir reflet de l'amour divin. L'amour du "prochain", c'est-à-dire de tout être appartenant à l'espèce humaine, doit conduire l'être humain à son propre dépassement.

En même temps, le christianisme a eu tendance à dévaloriser l'amour désir.

"Le cœur humain est creux et plein d'ordure" écrit Pascal. L'amour vrai ne doit pas dériver d'une cause mécanique hormonale. Il est "pur", platonique, il vient de l'âme. 

"L'amour est patient ; l'amour est plein de bonté. L'amour n'est point envieux ; il ne se vante pas, il ne s'enfle pas d'orgueil. Il ne fait rien de malhonnête ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s'irrite point, il ne soupçonne point le mal. Il ne se réjouit point de l'injustice, mais il se réjouit de la vérité. Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout." Saint Paul, première Epître aux Corinthiens.
Mais comment faire de cet amour un devoir ?  Kant distingue deux sortes d'amour : "l'amour pathologique", "hypothétique", fondé sur l'inclination la sensibilité et l'intérêt et "l'amour pratique" inconditionnel, comme don absolument désintéressé. Il voit dans "l'impératif catégorique" qui ordonne de respecter sans condition l'humanité tout entière, le passage à une forme d'amour éthique universel.

3. Nietzsche

Le modèle de l'amour est le soleil. La fonction du soleil est de diffuser son rayonnement. son énergie est centrifuge. Il est, avant tout, don total de soi. S'il y a un récepteur, alors cette énergie peut être transformée. Le bonheur est le fait d'être relié à un autre être dans le don de soi. Le soleil est le plus beau modèle de don et de joie. Le véritable amour ne dérive pas d'un manque mais d'une richesse, un trop plein d'énergie. Aimer, c'est donner ses sentiments, son énergie, ses découvertes aux autres sans désir de retour. Tel est le désir de Zarathoustra.

L'amour peut être un creuset "alchimique" à travers lequel l'être humain a la faculté de se métamorphoser, de se dépasser, de ne plus se rechercher lui-même.

Entre le désir de vie et le désir de mort : la passion et son ambivalence.

La passion                          

Au sens moderne, la passion est un désir et un sentiment vécus sur le mode de l'excès  (Hyper en latin,  Hybris, en grec). Elle navigue dans la démesure, le dépassement des limites.

Définition de la passion : Intensité, démesure, paroxysme, exacerbation, exagération du désir et du sentiment. En même temps qu'elle grandit l'homme et l'oblige à se dépasser, elle le rétrécit en le fixant intensément sur un seul objet. La passion s'oppose d'une part à l'indifférence et à la tiédeur, d'autre part à la raison et à la volonté. Le sage est le modèle de celui qui a triomphé des passions.

Analyse de la passion :  parallèle à celle du désir. Désir multiplié par 100 ou 1000.

 Immense variété  des passions.

La passion peut s'attacher à n'importe quel objet dont elle fait le centre absolu du monde, sur lequel elle investit toute son énergie.

Objets matériels : ivrognerie, goinfrerie, avarice (=se priver de tout pour avoir le moyen d'avoir tout!), toutes sortes de collections…

Comportements sociaux : passion du jeu, aventure (goût de l'ailleurs), ambition politique, réussite sociale, sports…

Etres vivants : Passion amoureuse (Tristan et Yseult / Roméo et Juliette / des Grieux et Manon)… Othello et Desdémone…Haine, jalousie, colère.

Idées : volonté de puissance, dogmatisme, fanatisme, remords…

Valeurs : Vérité…(passion scientifique) Beauté…(Tout sacrifier à l'art, à la musique, à la peinture par exemple Van Gogh.) Combat pour justice…

Ce ne sont que quelques exemples parmi une infinité.

Ambivalence

1) Vie / Mort : Passion de vivre, (fureur de vivre, amour) opposée à Passion de mourir (fureur destructrice, haine, "Passion de détruire". E. Fromm.

2) Aspects positifs / Aspects négatifs.

La passion est une force toute puissante du désir ou de l'amour qui domine la raison et la volonté et polarise toutes les facultés et toute l'énergie d'un sujet sur un objet investi d'une valeur absolue.

 a – Aspects positifs

La passion éclaire l'univers, donne une valeur (adoration, fascination divinisation, sacralisation de l'objet), donc donne un sens à la vie du sujet.

Elle stimule l'énergie, donne des "ailes", un "feu sacré", une force surhumaine, du courage, de l'audace, de la patience.

Elle pousse au dépassement de soi, voir Hegel "Rien de grand ne s'est fait sans passion." Elle déclenche et oriente l'inventivité, la créativité, voire le génie. Elle engendre des actions grandioses aussi bien dans les exploits constructifs que dans le crime. Quête d'infini, quête d'absolu, projetée sur l'objet. Passion comme reflet de l'éternité. Désir de perfection.

Paroxysme du plaisir. Elation, transport de joie, délices, félicités décrites par les passionnés, avant-goût du paradis. Ivresses célestes, exaltation, extase.

b - Aspects négatifs

Le passionné dévalorise tout ce qui est étranger à l'objet de sa passion, est indifférent à la totalité du monde, même à lui-même. Il désinvestit tout le reste devient partial, aveugle, injuste. La passion fausse le jugement : elle oblige la raison à fonctionner sur une logique inversée – la raison se met au service de la passion. Elle paralyse toute activité étrangère à elle-même.

Elle parasite la volonté. Le sujet est impuissant face à cette force plus forte que lui qui écrase, inhibe, tous les comportements habituels. La passion tyrannise celui qui la vit, rend esclave,  emprisonne, et le prive de notre liberté. (Voir Hercule aux pieds d'Omphale), mais elle tyrannise l'autre aussi, l'enferme dans une cage "dorée" et lui vole sa liberté !

"Dans tous les cas, nous sommes déportés de notre être ordinaire", Alain. Nous sommes dépossédés de nous-mêmes, aliénés. La passion marginalise : Elle enlève toute énergie pour des investissements dans des activités courantes utiles. Elle est considérée comme dangereuse par la société : amants diaboliques, démon de midi, envoûtement, ensorcellement…

La passion fait souffrir : Emotions exagérées, incontrôlables, tremblements, pâleurs, rougeur, et même syncope. Voir les descriptions de Rousseau, et celles de Racine dans le Phèdre.

Elle abîme la santé, dérègle les mécanismes biologiques.

Doute, suspicion, tristesse, "manque", désespoir, accablement, jalousie, colère, inquiétude, solitude, tourments rongeurs, chagrin, dépression, désespoir, usure de l'énergie, fatigue, elle épuise le sujet et quelquefois le pousse jusqu'au suicide…

En conclusion

La passion déréalise, elle peut aller jusqu'au délire et à la démence. Elle dévie, déstabilise, déséquilibre…("dé" = s'écarter, s'éloigner). Elle frôle et parfois rejoint le désir de mort.

Alquié dit qu'elle est une "erreur sur l'objet", qu'elle résulte d'une "confusion entre une réalité présente et un souvenir ancien."
Selon Freud, l'autre n'est pas perçu tel qu'il est réellement. Il est le support, tel un "écran" sur lequel nous projetons des valeurs, des sentiments, des souvenirs des émotions qui sont des réminiscences d'expériences passées très anciennes oubliées ou refoulées donc inconscientes. Ces souvenirs sont très puissamment réactivés par la perception de l'autre. A notre insu, des connexions s'établissent dans notre psychisme et libèrent des affects très forts. Nous sommes piégés par une mémoire inconsciente. La passion est la plus ensorcelante des illusions. (Voir analyse du phénomène de la cristallisation décrit par Stendhal, dans les mines de sel de SalsbergWerk, près de Salsbourg en Autriche, p.7)

Ambiguïté

L'absence de l'objet de la passion est une torture insupportable. Elle ravage l'être, le plonge dans les tourments de l'enfer.
La présence ou anticipation de l'objet de la passion est un délice céleste.
Oscillation du sujet entre le ciel et l'enfer.

Même double origine que pour le désir

La passion dérive des pulsions de vie et de mort selon Freud
Les images et les symboles de la société lui donnent forme.

Le devenir de la passion

Telle quelle, à cause de son intensité, et de son irréalisme, elle n'est pas viable longtemps.

Elle a plusieurs issues possibles :

1. Extinction. Le plus souvent, elle s'éteint toute seule comme un feu de paille. Avec le recul du temps étonnement du sujet face à l'objet de sa passion.

2. Décristallisation, et transformation en amour, (le plus souvent). "Ils se marièrent et ils eurent beaucoup d'enfants! = socialisation du désir.

3. Substitution ou déplacement. Le passionné recommence, il fait un "transfert" sur quelqu'un d'autre. 

4. Déviation ou perversion.  L'échec et la souffrance sont tellement intolérables que l'amour se transforme en haine et que le passionné en veut à tous les "objets" qui rappellent le premier et par exemple il devient assassin (réel) de toutes les blondes pour détruire symboliquement l'objet de son tourment…

5. Sublimation. Métamorphose du sentiment et déplacement vers une activité socialement valorisée. Par exemple, le passionné devient poète, peintre, moine ou il se lance dans l'aide humanitaire.

6. Folie (rare) Le désespoir passionnel fait basculer dans l'irréel.

7. Mort. "Amour à mort." Epuisement de l'énergie et désespoir.

La passion n'existe que chez l'être humain. Gratuité du phénomène. Passion de l'inutile.

RAPPEL de quelques THEORIES sur les DESIRS.

1 Le bonheur comme satisfaction de tous les désirs. Bible, le "paradis terrestre". (Voir dans le cours d'ANTHROPOLOGIE le dossier sur L'énigme du serpent, et plus tard dans l'année le cours sur le Bonheur.)

Il faut apprendre à gérer nos désirs.   Epicure.

Théorie d'Epicure : l'épicurisme.
Il existe trois sortes de désirs.

- Les désirs naturels et nécessaires. Boire, manger, dormir, être en bonne santé, l'amitié…

- Les désirs naturels non nécessaires : Les désirs sexuels…

- Les désirs ni naturels ni nécessaires : boire dans un coupe en or, manger des mets raffinés, l'ambition du pouvoir, la célébrité…

Pour être heureux, il faut apprendre à se priver des derniers, et ne satisfaire les seconds que si les conséquences sont sans gravité, donc savoir maîtriser sa sexualité. Seuls la satisfaction des premiers est indispensable. Elle procure la tranquillité du corps et de l'âme.

"Tout plaisir est en tant que tel un bien et cependant il ne faut pas rechercher tout plaisir ; de même la douleur est toujours un mal, pourtant elle n'est pas toujours à rejeter. Il faut en juger à chaque fois, en examinant et comparant avantages et désavantages, car parfois nous traitons le bien comme un mal, parfois au contraire nous traitons le mal comme un bien."
Epicure, Lettre à Ménécée.

 Epicure nous convie à un savant calcul.

Il faut désirer l'extinction de nos désirs.  Bouddhisme.

Le désir est à l'origine de toutes les douleurs et souffrances. Il faut arriver à l'extinction du désir. Le bouddhisme propose des méthodes pour parvenir à cette fin. La conscience libérée des désirs connaît une joie absolue : le nirvana, joie bien supérieure à celle, toujours provisoire, de la satisfaction des désirs. 

Les ailes du désir nous élèvent jusqu'au divin.

Théorie de Socrate (Diotime) dans Le Banquet de Platon.

La dialectique de l'amour. Le désir peut et doit être "sublimé". Voir p.8 .
 
5 Le désir est la marque du péché. Christianisme.

Condamnation du désir charnel. Interprétation tendancieuse de la Bible. La tentation d'Eve aurait été celle de la chair ! La chair est faible, le seul désir positif est celui de l'esprit, l'amour de Dieu.

"Je vins à Carthage, et partout autour de moi bouillait à gros bouillons la chaudière des amours honteuses…" Saint Augustin.

6 Le désir amoureux a fait parler les hommes : Rousseau.

Conjecture (=hypothèse) de J.J.Rousseau : Des jeunes, n'ayant jusque là vécu que dans leur famille, se sont retrouvés autour du puits. Ils se sont épris les uns des autres. Eux qui ne vivaient que dans le registre des instincts, entrent dans celui du désir amoureux. Ils sont obligés d'inventer un langage nouveau pour exprimer des sentiments nouveaux : c'est la naissance de la PAROLE. Voir le cours d'ANTHROPOLOGIE, texte sur l'origine des langues.

7  Spécificité du désir humain : Le désir de désir. Hegel.   

Le désir se fonde sur un manque. Ce manque engendre un dynamisme. Il est le moteur d'une quête pour être comblé. Tandis que le désir animal se porte sur un objet et reste soumis à la vie, le désir humain en diffère profondément. D'une part il peut ne pas se porter sur un objet, mais sur un vide (un manque), c'est-à-dire sur un autre désir. L'amour par exemple est désir du désir de l'autre. Mais, ce qui caractérise le désir humain c'est le désir de reconnaissance par l'autre. D'autre part, il n'est pas soumis à la vie. En effet l'homme peut désirer la mort pour être reconnu par l'autre. Si un être est capable de désirer mourir pour rien, alors il est vraiment humain, il n'a plus rien à voir avec un être de la nature, un animal, il est un HOMME. Ce désir de reconnaissance est "agonistique", c'est à dire qu'il est cause d'une lutte à mort, lutte dont la finalité est la reconnaissance de son humanité (son triomphe sur la peur de la mort) par un autre. 

La société de consommation aliène nos désirs

Selon Marx, toute l'économie = l'infrastructure matérielle d'un pays) est sous-tendue certes par le travail, mais auparavant par le besoin et le désir humain. Marcuse et Illitch (sociologues contemporains) attirent notre attention sur l'aliénation du désir dans les sociétés de consommation. La société marchande rétrécit l'homme, elle en fait un consommateur "unidimensionnel" : Il travaille pour consommer, mais la quantité de travail nécessaire à l'acquisition de ses produits de consommation, le prive de temps, donc l'empêche de consommer… D'où le cercle vicieux dans lequel s'enferme et s'aliène (= se dénature) l'homme moderne. Il devient "stressé", abruti et vide.  

Il existe chez l'homme un désir d'agression particulier. E.Fromm.

L'agressivité maligne. (Voir tableau dans le cours d'ANTHROPOLOGIE.

Faire du mal à son semblable (et aux autres êtres) : Désir propre à l'espèce humaine, lié à son inventivité illimitée, non programmé génétiquement, gratuit et inutile, insatiable, monstrueux.

10  Le désir est le maître de l'homme. Freud.

Toute la théorie de Freud part d'une analyse de l'économie du désir. Le désir subit de nombreux avatars : Il peut être refoulé et dans ce cas il a une énorme puissance. Il peut être inhibé, déplacé, perverti, sublimé…" Le moi n'est pas maître dans sa maison". C'est le désir inconscient qui nous gouverne. (Revoir tout le cours sur l'INCONSCIENT).

Bibliographie sommaire :
E.Blondel, L'Amour, Flammarion.1998.
M.Eliade, Le Yoga, P.b.Payot.
Platon, Le Banquet,  Nathan.
Dictionnaire des Symboles, Chevalier et Gheerbrant.
Freud, Essai de psychanalyse, P.b.Payot.
Pascal, Les Pensées.

3. Désir de mort - La haine et la violence

"L'homme n'est point cet être débonnaire au cœur assoiffé d'amour dont on dit qu'il se défend quand on l'attaque, mais un être, au contraire qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d'agressivité. Pour lui, par conséquent, le prochain n'est pas seulement un auxiliaire et un objet sexuel possibles mais aussi un objet de tentation. L'homme est en effet tenté de satisfaire son besoin d'agression aux dépens de son prochain, d'exploiter son travail sans dédommagements, de l'utiliser sexuellement sans son consentement, de s'approprier ses biens, de l'humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus; qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l'histoire, de s'inscrire en faux contre cet adage?"  Freud, Malaise dans la civilisation.

La violence est une force orientée contre un être. Cette force peut être quantitativement énorme ou une énergie vibratoire minime comme une parole.

Non seulement nous sommes les victimes de la violence naturelle, mais nous sommes les acteurs d'une violence particulière dans la société. La violence est omniprésente, dans le cosmos, dans la nature, dans la société, à l'intérieur de nous. Elle est perçue comme un scandale par l'homme parce qu'à l'origine de son malheur. Au XXI° elle nous donne l'impression de s'amplifier, et d'enflammer l'univers.

DEFINITION et ANALYSE

La racine indo-européenne : wi, signifie la force. Mais toute force n'est pas violente.

La force est :

1) Une cause capable d'engendrer le mouvement, d'un corps ou de le modifier. C'est la puissance qui permet l'action. Elle peut s'extérioriser.

2) En physique, la force est une donnée objective, une énergie quantifiable, qui se mesure en "newton".

3) La force est aussi une puissance intérieure, invisible, non mesurable qui pourtant peut s'exprimer et produire des mouvements. Force morale, force de la volonté, force d'amour.

La force peut être constructive, au service de l'intelligence, de la morale, de la bonté…

La VIOLENCE est une force destructive : Attaquer, agresser, blesser, réduire, dévorer, désagréger, détruire, tuer, anéantir…en produisant de la souffrance chez tous les êtres animés. Toute force produisant de la souffrance n'est pas nécessairement violence, si sa finalité est d'aider l'individu à se construire, à se libérer ou à se réaliser pleinement. Voir dans le cours sur la Liberté : la nécessité pour l'homme d'accepter des contraintes positives c'est à dire une discipline pour sa libération.

La violence existe à tous les niveaux. Revoir le § sur le MALHEUR, (= les différentes violences subies par l'homme), dans le cours sur la Genèse et sur le BONHEUR.

La violence dans la nature

a - Violence cosmique

Les forces qui s'affrontent dans l'univers sont gigantesques, titanesques, (cf. les combats des titans à l'origine du monde dans la mythologie grecque). Hubert Reeves nous donne quelques exemples d'explosions d'une puissance inimaginable, de destructions d'étoiles, d'anéantissement d'univers entiers dans des trous noirs. Des milliards de météorites sillonnent l'espace, bombardent les planètes, la terre… H.Reeves décrit la mort future du soleil (dans quelques milliards d'années) comme une véritable apocalypse. Lire Patience dans l'Azur.  

b - Violence "météorologique"

Les différents séismes témoignent de la violence de la nature. La pression des plaques tectoniques cause des tremblements de terre meurtriers. Raz de marée, inondations, tempêtes, raz de marée, tornades dévastatrices, orages, éruption de volcans…la terre, l'eau, l'air, le feu font des ravages, sans se "soucier" de la présence ou non de l'homme.

c - "Violence" animale

Le monde animal est régi par la loi du plus fort. La "chaîne alimentaire" (le plus gros mange le plus petit), fait de chaque animal, à la fois un prédateur et une proie. Finalement tous les animaux s'entre-dévorent. La nature est le théâtre d'une violence infinie.


"Dans le vaste domaine de la nature vivante, il règne une violence manifeste, une espèce de rage prescrite qui arme tous les êtres in mutua funera : dés que vous sortez du règne insensible, vous trouvez le décret de la mort violente écrit sur les frontières mêmes de la vie. Déjà dans le règne végétal on commence à sentir la loi : depuis l'immense catalpa jusqu'au plus humble graminée, combien de plantes meurent, et combien sont tuées ! Mais dés que vous entrez dans le règne animal, la loi prend tout à coup une épouvantable évidence. Une force à la fois cachée et palpable, se montre continuellement occupée à mettre à découvert le principe de la vie par des moyens violents. Dans chaque grande division de l'espèce animale, elle a choisi un certain nombre d'animaux qu'elle a chargé de dévorer les autres : ainsi, il y a des insectes de proie, des reptiles de proie, des oiseaux de proie, des poissons de proie, des quadrupèdes de proie. Il n'y a pas un instant de la durée où un être vivant ne soit dévoré par un autre." 
J. DE MAISTRE, Les Soirées de Saint-Petersbourg, t.2.

 

d - Violence organique

L'équilibre entre les forces de vie et les forces de mort est fragile. Bactéries, microbes, virus agressent en permanence l'organisme. Les maladies, les douloureux processus du vieillissement et la mort sont inévitables.

Les pulsions, lorsqu'elles ne sont pas satisfaites, nous font violence.

Freud affirme l'existence d'une pulsion de mort, Thanatos, présente chez tous les êtres vivants.

Les biologistes affirment que la violence a des bases neurologiques, bioélectriques et biochimiques. Le professeur Delgado, à Madrid rend furieux un taureau en envoyant des impulsions électriques, à distance, dans des zones particulières de son cerveau.

Théoriquement la finalité de la société devrait être la diminution de la violence, voire sa disparition, or la violence dans la société est pire que celle de la nature.

La société a pour fonction de neutraliser la violence

1)  Dans le cours d'Anthropologie, nous avions vu qu'au moment de la maîtrise du feu par l'homme, s'amorçait une inversion de la sélection naturelle. Les plus faibles étaient protégés dans le cercle de feu. Au cours des siècles suivants, la "protection de la veuve et de l'orphelin" apparaissait comme un idéal.

2)  Les rites comme la chasse par exemple assurent une bonne canalisation de la violence. La chasse  dirige la violence à l'extérieur de la société. Le sport assure une fonction similaire.

3)  Les religions mettent en place :

- une morale qui interdit la violence réelle sous toutes ses formes, en pensées en paroles et en actes. Cf. (tu ne tueras pas, tu ne voleras pas.)

- elles valorisent comme un idéal l'amour du prochain et la protection des plus démunis.

- à travers les rites sacrificiels, elles détournent et concentrent la violence sur le symbole du bouc émissaire. (cf. théorie de René Girard, La violence et le sacré).

4)  La justice : toutes les sociétés édifient les lois interdisant les agressions et prévoient des sanctions pour la transgression de ces lois, (code pénal ), amendes, prison, autrefois peine de mort.

5)  L'éducation, au départ fondée sur l'amour (relation mère/enfant), inculque des rites de politesse. Polir signifie rendre lisse et brillant, C'est à dire ôter les aspérités de la violence, donc civiliser au sens ancien. Devenir humain, c'est s'hominiser, (= acquérir les caractères essentiels qui nous différencient des animaux), mais surtout s'humaniser, (= apprendre à reconnaître dans l'autre être humain un semblable et le respecter). Cf. le cours d'Anthropologie.

6)  Le langage : l'apprentissage du langage, du code de la parole, en vue de la communication permet de s'exprimer et de s'expliquer. La possibilité de l'échange par les mots à travers le dialogue, pourrait théoriquement, rendre inutile l'échange de coups. L'homme cultivé est souvent un humaniste, pas toujours hélas.

7)  L'art : véritable catharsis, (=  purification de toutes les passions, y compris les mauvaises selon Aristote), fantastique processus de sublimation, selon Freud, qui donne à l'homme la possibilité de transformer sa libido, mais aussi son désir de mort en un chef d'œuvre esthétique.

8)  La science :  la médecine en particulier dans sa finalité de guérison, mais aussi toutes les autres recherches scientifiques et techniques qui ont pour but de nous protéger des violences de la nature, digues, paratonnerre etc.

9) La technologie. La société prévoit, forme et utilise tout un personnel de sécurité chargé d'empêcher et de sanctionner la violence. Les bourreaux autrefois, les gardiens de prisons, les gardiens de la paix, l'armée, les stratégies de défense nucléaire. Il existe une spécialisation technique des professionnels de l'anti-violence, hautement qualifiée, tireurs d'élite, troupes de choc et d'intervention rapide, brigade antigang, G.I.A (Groupe d'Intervention Armée ). L'étude des stratégies et les méthodes de gestion de la violence  deviennent scientifiques.

CRITIQUE : L'existence d'une violence humaine.

Cependant toutes ces institutions se pervertissent et peuvent devenir instruments de violence.

1. L'histoire nous montre que dans la société l'écrasement du faible, les guerres, les conquêtes, les massacres n'ont jamais cessé à travers les siècles.

2. Les rites sont souvent d'une extrême violence. Rituels d'initiation dans les sociétés dites primitives, fêtes dionysiaques durant lesquelles toutes les sortes de violences étaient autorisées et qui se terminaient par le meurtre d'un jeune homme coupé à la hache, dont on mangeait le corps et dont on buvait le sang… Voir aujourd'hui la violence autour des matches de football.
 
3. Les religions ont souvent produit le processus du refoulement décrit par Freud, et un fanatisme d'une violence inouïe.

4. La "justice" a souvent été au service des plus forts. Les lois ne sont pas toujours justes. Dans l'Antiquité, il était légal donc "juste" de posséder des esclaves. Marx pense que les lois édictées durant la Révolution Française ont été faites par les Bourgeois pour protéger leurs intérêts.

5.L'éducation est très répressive. Freud nous montre combien le processus éducatif qui consiste à nous civiliser est subtilement violent, et aboutit à la fabrication d'un "Surmoi" qui est un véritable gendarme intérieur. Cf. l'éducation de Victor de l'Aveyron, dans le film, L'enfant Sauvage.

6. Le langage exprime aussi bien l'amitié que la violence, voir plus loin.

7. L'art libère l'artiste, mais le spectateur est souvent "violenté" par la violence de l'artiste. La contemplation d'une œuvre violente, le spectacle d'un film violent peuvent nous inciter à exprimer notre propre violence.

8. La science est surtout "thanatocratique", elle nous donne infiniment plus de pouvoir de détruire que de pouvoir de créer. Nous pouvons anéantir en 15 minutes un monde qui a mis 15 milliards d'années à se fabriquer, cf. H. Reeves. Alors que nous ne pouvons pas créer une seule cellule vivante.
 
La violence humaine est pire que la violence naturelle :

La violence dans la société

Comment ne serions-nous pas violents ?

- Si nous sommes les "fils de Caïn", et les descendants de tous ceux qui ont commis la violence mais aussi de tous ceux qui l'ont subie, avons-nous hérité de cette rage du meurtre ?

- Et, si nous sommes les produits de la nature, les "enfants des étoiles" H.Reeves, et des "fils de singe", comment échapper à cette fatalité ? Mais nous sommes violents au-delà de toute mesure, notre violence peut devenir monstrueuse:
 
A. Le constat de la violence humaine

"Au-dessus de ces nombreuses races d'animaux est placé l'homme, dont la main destructrice n'épargne rien de ce qui vit ; il tue pour se nourrir, il tue pour se vêtir, il tue pour se parer, il tue pour attaquer, il tue pour se défendre, il tue pour s'instruire, il tue pour s'amuser, il tue pour tuer : roi superbe et terrible, il a besoin de tout, et rein ne lui résiste.(…)
Mais cette loi s'arrêtera-t-elle à l'homme? Non sans doute. Cependant quel être exterminera celui qui les extermine tous ? Lui. C'est l'homme qui est chargé d'égorger l'homme. Mais comment pourra-t-il accomplir la loi, lui qui est un être moral et miséricordieux ; lui qui est né pour aimer ; lui qui pleure sur les autres comme sur lui-même, qui trouve du plaisir à pleurer, et qui finit par inventer des fictions pour se faire pleurer ; lui enfin à qui il a été déclaré qu'on redemandera jusqu'à la dernière goutte du sang qu'il aura versé injustement ? C'est la guerre qui accomplira le décret. (...)

La guerre s'allume. L'homme saisi tout à coup d'une fureur divine, étrangère à la haine, et à la colère, s'avance sur le champ de bataille sans savoir ce qu'il veut  ni même ce qu'il fait. Qu'est-ce donc que cette horrible énigme ? Rien n'est plus contraire à sa nature, et rien ne lui répugne moins : il fait avec enthousiasme ce qu'il a en horreur. (…)

Ainsi s'accomplit sans cesse, depuis le ciron jusqu'à l'homme, la grande loi de la destruction violente des êtres vivants. La terre entière continuellement imbibée de sang, n'est qu'un autel immense où tout ce qui vit doit être immolé sans fin, sans mesure, sans relâche, jusqu'à la consommation des choses, jusqu'à l'extinction du mal, jusqu'à la mort de la mort.
J. DE MAISTRE, Les Soirées de Saint-Petersbourg, t.2.

B. L'analyse de la violence humaine

"D'une part, l'homme est semblable à de nombreuses espèces animales en ceci qu'il combat sa propre espèce. Mais d'autre part, il est, entre des milliers d'espèces qui se battent, la seule où la lutte soit destructive… L'espèce humaine est la seule à se livrer à des massacres, la seule à ne pas s'adapter à sa propre société." Tinbergen, (éthologue) cité par E.Fromm, dans La Passion de détruire.
La violence humaine est spécifique, unique, tristement "originale".

L'agressivité animale, que Fromm qualifie de "bénigne" a les caractères suivants :

1. L'agression est phylogénétiquement programmée. Elle est instinctive, est innée.

2. Elle a une utilité biologique Elle se déclenche quand les intérêts vitaux sont menacés. L'agression est défensive, au service de la vie de l'individu et de l'espèce.

3. Elle cesse dés que la pulsion est satisfaite.

L'agressivité humaine, que Fromm qualifie de "maligne" est la cruauté.

1. Elle est artificielle. Elle est inventée par l'intelligence et l'affectivité. Elle utilise toutes les inventions techniques. (Cf. toutes les formes de tortures.)

2. Elle est gratuite. Elle ne protège pas les intérêts vitaux.

3. Elle est indéfiniment renouvelée, donc sans fin, parce qu'elle produit de la jouissance (sadisme).

C. Les différentes formes de violence

La violence dans la société prend des formes très variées.

Elle peut être brutale, physique, utiliser toutes les formes de la technique. Elle peut être psychologique, très subtile et s'exprimer au moyen du langage et des symboles. Elle peut être morale, économique, socio-politique, culturelle…Elles peuvent toutes se concentrer dans une forme d'expression. Les violences citées sont à interpréter dans les deux sens : passives et actives.

1.Violence physique

La brutalité physique, c'est l'attaque, la blessure, le viol, toutes les formes de sévices et de tortures, le meurtre. Caïn tue son frère Abel, dés le commencement de l'humanité.

Hegel pose l'hypothèse d'une relation "agonistique", dés l'origine. Pour être reconnu par une autre conscience comme un être supérieur aux autres êtres de la nature, donc dans sa dignité et dans sa supériorité, un être vraiment humain ne doit pas avoir peur de la mort, il doit accepter de mourir pour rien. C'est donc dans une lutte à mort qu'il prouve sa dignité, donc dans un comportement violent.

Quand la violence physique utilise la technique, elle multiplie sa puissance et son efficacité. A mesure que la science et la technique progressent. Les techniques de torture évoluent vers des formes de cruauté de plus en plus "raffinées".

La violence physique peut se retourner contre soi-même dans les automutilations et le suicide.

2. Violence économique

C'est dans l'acte d'appropriation de la terre que J.J.Rousseau voit la première violence et l'origine de toutes les autres violences.

"Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire, ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misère et d'horreurs n'eût point épargné au genre humain celui qui arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables, Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n'est à personne!" Cf. Discours sur l'origine et les fondements de l'Inégalité, II.

L'exploitation des hommes dans le travail, leur réduction en esclavage, le vol, la pauvreté, la misère sont la cause d'une infinité de souffrances subies, mais aussi de haine et de désir de mort de la part des opprimés. Voir analyse de Marx, dans le cours sur le Travail.

3. Violence culturelle

L'éducation implique une forte répression des pulsions et beaucoup de sanctions. Civiliser un être c'est d'abord lui faire violence. Freud montre toute la violence contenue dans les tabous et dans les modèles que la société nous impose. L'intériorisation de ces interdits et des exigences de la société constitue le "Surmoi", véritable tyran invisible.

Apprentissage de la violence à travers les jouets. Voir les catalogues de "jouets pour garçons" et les logiciels de jeux qui exacerbent le désir de se battre et de tuer.

4. Violence politique

Les différents régimes tyranniques, fascistes, totalitaires... les répressions, goulags, camps de concentration, holocaustes, exterminations.

Violence institutionnelle : la guerre. La torture.

Soumission passive de l'homme à la violence si elle est "commandée" par l'état ou l'institution. Cf. l'expérience de Stanley Milgram, professeur à l'Université de Yale, aux U.S.A. : des étudiants en psychologie, censés étudier les manifestations de la douleur sur l'être humain, envoient des décharges électriques à un "prisonnier condamné", assis sur une chaise électrique. L'intensité des décharges est inscrite sur un clavier à leur disposition, les niveaux d'intensité mortelle sont inscrits en rouge. En réalité, le "prisonnier" est un acteur, et ce sont les étudiants qui sont les cobayes! Il est question d'analyser, dans une situation institutionnelle, dans quelles limites un homme obéit ou résiste aux ordres. Dans ce contexte précis, presque tous les étudiants "obéissent" au professeur en blouse blanche, et torturent le "prisonnier" jusqu'à la mort! Cette expérience est mise en scène dans le film I. comme Icare.

5. Violence affective

Plus subtile, mais non moins douloureuse est la violence des sentiments.

Haine, colère, fanatisme, passions, trahison, menace, peur, terreur, angoisse…qui se traduit par des gestes, des paroles, des intonations (=langage extra-linguistique) ou des regards.

6. Violence morale

Honte, humiliation, viol, mépris, racisme, sexisme, vengeance, ressentiment, remords (= boomerang de la violence ?). Violence de la relation avec autrui selon Sartre: "L'enfer c'est les autres". L'autre par son regard nous aliène, nous chosifie.

7. Violence intellectuelle

Celle du langage , à travers les mots. Enfermer les êtres dans des mots, des étiquettes, des diagnostics.

Conditionnement, dogmatisme.

Mensonges, délation, calomnies, rumeurs, injures, langage grossier.

Les mots peuvent avoir la violence d'un revolver. Cf. V.Hugo, "Mets un mot sur un homme, et l'homme meurt en frissonnant, pénétré par la force profonde." Voir tout le cours sur le Langage.

8. Violence symbolique

Le langage imagé des religions : les menaces et les descriptions de l'enfer.

Les blasphèmes s'exprimant par une manipulation offensive, méprisante de symboles considérés comme sacrés.

La magie noire.

Les images subliminales.

9. Violence psychique intérieure

D'une part toute société est fondée sur une violence originelle : le meurtre du père, exprimée par les mythes et les rites, cf. Freud.
D'autre part, le "Moi" est tyrannisé par "trois despotes (…) le monde extérieur, le Surmoi et le ça", Freud. De ce fait, notre univers intérieur, le psychisme, est constamment en état de conflit. Lorsque ce conflit est mal géré, ou trop intense, le psychisme en détresse produit de l'angoisse. Notre violence intérieure, le plus souvent est déplacée et condensée sur le monde extérieur.
 

Les théories de la violence

Justifications de la violence :

Dans un premier temps l'on pourrait penser que seuls des hommes violents et anti-philosophes justifient l'usage de la violence. Calliclès, que Platon met en scène dans ses dialogues, est précisément non seulement un adversaire de Platon, mais de la philosophie en général qu'il juge comme une "activité ridicule". Cependant, il n'en est rien, plusieurs idéologies valorisent la violence.

1. Religions de la Bible

Colères d'un Dieu jaloux. Déluge, destruction de Sodome et Gomorrhe. Islam : Coran Justification de la guerre sainte;

2. Penseurs politiques

-  Machiavel, voir le cours sur l'Etat. "La fin justifie les moyens". Pour réaliser une politique juste, selon Machiavel, il ne faut pas hésiter à utiliser la violence, se faire loup avec les loups, lions avec les lions.

-  Hobbes, voir cours sur l'Etat. Les hommes sont naturellement ennemis. "Homo, homini lupus." (= l'homme est un loup pour l'homme.) Donc il faut concentrer tous les pouvoirs en un homme fort et puissant qui saura imposer la paix par la violence.

3. Philosophie hégélienne

a. L'être humain ne peut se faire reconnaître comme être humain qu'à travers la violence: le combat où il accepte de risquer sa vie.

b.  La "Raison" (ou "Idée"), ne se déploie dans la nature d'abord, dans l'histoire ensuite qu'à travers le processus dialectique. Celui-ci implique une "négativité". C'est à dire qu'il n'existe aucun état ni aucun phénomène sans une force "négative" (= qui s'oppose à lui), pour l'obliger à se transformer, à se dépasser ( se "subsumer" écrivent les traducteurs de Hegel). Mais cette force s'exprime le plus souvent par la violence, en tout cas à travers l'histoire. Le peuple qui "gagne" est pour Hegel celui qui est du côté du progrès de la Raison. Ce qui revient à justifier la violence. Quelle aurait été la position de Hegel au XX e siècle? 

4. Marx

Marx fait d'abord le constat de la violence liée à la division des classes sociales et à l'oppression injuste et violente des classes dominées par les classes dominantes.

La société sans classe et "juste" qu'il propose dans la réalisation de son programme politique : l'édification d'une société communiste, ne peut se faire sans une utilisation de la violence. La révolution ne peut faire l'économie de la violence contre une classe qui l'a elle-même créée. Il s'agit de savoir gérer politiquement cette violence pour qu'elle soit constructive. Selon Marx, la lutte contre l'injustice et l'inégalité est une violence juste et légitime.

5. Attention au contre sens sur la philosophie de Nietzsche

Nietzsche est souvent présenté comme un philosophe de la "guerre" et de la violence. Il est vrai qu'il n'est pas un adepte du repos, de l'immobilité ni du bonheur !

Mais tout son discours est métaphorique. Quand il fait l'apologie de la "guerre", il ne s'agit pas de la guerre politique, mais d'une attitude de lutte et de combat constants contre la médiocrité. Avoir l'esprit "guerrier", c'est n'être jamais en repos, toujours en mouvement et en dépassement. Sa figure idéale : le Surhomme, passe par trois stades 1. Le chameau, 2. Le lion, 3. L'enfant. Si le stade du "chameau" implique une révolte, celle-ci est purement individuelle et intérieure. Quant au stade de l'enfant, il est au-delà de toute manifestation de violence.

6. Sartre

La relation avec l'autre est nécessairement violente. Le regard de l'autre nous aliène, nous "chosifie", nous transforme en "en-soi". L'enfer c'est les autres." Mais nous ne pouvons pas exister sans eux. Voir les cours sur la Conscience et sur Autrui.

La non-violence

1. Hindouisme

 Ahimsa, est un mot sanscrit qui signifie non-violence ou non-nuisance, formé de "a" préfixe privatif, et de "hims", dérivé de han : frapper, blesser, tuer.

Ce terme est très ancien, il apparaît dans les textes de l'hindouisme, vers le VI°  avant J.C., en Inde. Il qualifie une attitude spirituelle et morale essentielle qui figure en première place dans la liste des quatre prescriptions du Yoga-sutra. 1. La non-violence, 2. Le non-vol, 3. La pureté, 4. Le non-mensonge. Cette attitude entraîne le végétarisme, et la disparition progressive des sacrifices rituels du védisme (sacrifice du cheval).

Selon la pensée indienne, il existe, au-dessus de la compétition vitale qui règne sur la terre, une Energie universelle et conciliatrice, totalement harmonieuse et bienfaitrice, à laquelle l'homme peut se relier en dépassant sa condition humaine, et en se fondant dans le Soi. Cette énergie suprême existe aussi à l'intérieur de nous, selon le grand philosophe Sankara, (IX° siècle). Il suffit donc d'apprendre à nous recueillir, et à la rencontrer au fond de nous-mêmes, ce qu'enseigne la technique du Yoga. 
 

2. Bouddhisme

Ce sont les bouddhistes qui ont généralisé l'importance de la non-violence, dans la valorisation de la compassion. Les moines jaïn vont jusqu'à filtrer l'eau qu'ils boivent, se couvrir la bouche d'un léger tissu, et balayer le sol devant chacun de leur pas, pour éviter de détruire le moindre insecte! Pour le Bouddha, c'est avant tout la compassion et la bienveillance universelles qui nous conduisent à la paix intérieure et au Nirvana. Milarépa, est un exemple célèbre du pouvoir de transformation opéré par la compassion. Il était un grand  assassin et pratiquait la magie noire, une fois converti, il est devenu l'un des plus grands sages  du Tibet. La pratique de la violence accroît le "karma". Cela signifie, en résumé, que toute violence commise, en pensée, en parole et en action, se retourne nécessairement contre nous, comme un boomerang, soit dans notre vie présente, soit dans nos vies futures, (théorie de la réincarnation). Les hommes violents font d'abord leur propre malheur.

3. Socrate

Toute la philosophie de Socrate tend vers la non-violence. Il vaut mieux selon lui subir l'injustice et la violence plutôt que de les commettre. Il voit dans la philosophie, conçue comme une quête de la sagesse, un remède à la violence. Celui qui, guidé par un sage, parvient à se détacher du monde matériel, et accède au monde intelligible, est de ce fait purifié de toute violence. Au moment de la dialectique contemplative, il acquiert une forme de compassion qui le pousse à retourner libérer ses anciens compagnons.

Platon, lui-même, partageant les conceptions de son maître, s'était rendu en Sicile, pour convertir à la philosophie le célèbre tyran de Syracuse, Denys, mais il a échoué dans sa tâche!

Dans le mythe d'Er, Platon décrit les tourments infernaux subis au Tartare, par ceux qui ont commis l'injustice sous toutes ses formes : réduction des hommes en esclavage, meurtre, trahison…

Socrate accepte, sans aucune révolte, sa propre condamnation à mort.

4. Une tendance pacifiste au sein du christianisme

"Aimez vos ennemis, faites le bien et prêtez sans rien attendre en retour", paroles du Christ rapportées par Luc, VI, ou encore "Et moi je vous dis de ne pas résister au mal. Si l'on vous frappe sur la joue droite, tendez encore la gauche." Sermon sur la montagne, Matt. V.

Saint François d'Assise, prêchait l'humilité et l'amour de toutes les créatures. On raconte qu'il avait atteint un tel état de paix intérieure que les bêtes féroces elles-mêmes devenaient inoffensives en sa présence. Cf. la légende du loup de Gubbio. Dans le Cantique des créatures, il révèle le secret de l'harmonie et de la paix. Savoir parler aux oiseaux ou encore "le langage des oiseaux", était le signe de la parfaite réalisation de cet état de bienveillance universelle.

5. Kant : respecter le devoir moral

Toute la pensée kantienne vise à la réalisation d'une "paix universelle" à travers le respect du devoir édicté par notre conscience morale, que Kant nomme "Raison Pratique". 

Les trois impératifs catégoriques de la RAISON PRATIQUE sont les suivants :

1. "Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée par ta volonté en loi  universelle de la nature."

2. "Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la  personne de tout autre, toujours comme une fin et jamais simplement comme un moyen".

3. "Agis de telle sorte que tu sois à la fois législateur et sujet dans le règne des fins."

C'est seulement à cette condition que l'être humain peut réaliser la paix, non seulement dans le monde mais aussi à l'intérieur de lui-même.

6. Gandhi

Gandhi est formé à la fois par la tradition orientale et par la tradition chrétienne (évangélisme britannique) de la non-violence. Mais il n'est pas seulement un théoricien de la non-violence, il a réussi à la faire pratiquer par tout un peuple, et à en faire un instrument de combat d'une extraordinaire puissance : refus de travail ou d'obéissance à un ordre injuste, paralysie de tout un système, non-collaborations collectives, grandes marches silencieuses, et même grèves de la faim, sans jamais aucune brutalité.

La non-violence suppose une grande maîtrise de soi, et de l'héroïsme, car en résistant "passivement" (mais cette passivité est le résultat d'une grande activité intérieure et d'une grande perfection morale) aux forces violentes de l'oppresseur, il met en jeu sa propre vie. L'attitude non-violente tente de mettre fin au cycle de la violence, en montrant à l'agresseur qu'il se trompe. Elle suppose qu'il existe chez l'adversaire une conscience morale capable d'être éveillée, pour le guérir de sa propre  violence. L'adversaire n'est jamais un être à abattre, mais un homme qu'il faut amener à réfléchir, et à convertir. La non-violence déclenche une énergie spirituelle qui se propage chez l'adversaire et l'oblige à se remettre en question et à prendre conscience de ses erreurs. "Ce n'est pas avec le mal mais avec le bien qu'on arrête le mal." Disait Bouddha. Malheureusement, cette force est sans effet en face d'un être sans conscience, une machine, un animal ou un "barbare" (= celui qui refuse de reconnaître l'autre comme un être doué de conscience).

Beaucoup de mouvements pacifistes ont suivi cette voie, Martin Luther King aux U.S.A., Lanza del Vasto en France fonde l'association de l'Arche, les objecteurs de conscience…

 

7.  L'éducation aimante

Freud ne croit pas qu'il existe une éducation idéale, qui puise rendre l'homme à la fois heureux et paisible et en même temps adapté à la société. "Madame, quoique vous fassiez, ce sera mal.", répondait-il à une femme qui lui demandait comment bien éduquer son fils. Ses successeurs ont un avis plus nuancé. La psychanalyste d'enfants,  F.Dolto, affirme qu'une éducation sans tabous, fondée sur des interdits bien compris, un bon apprentissage des codes d'expression et une communication aimante, devrait pouvoir réduire la souffrance donc le comportement agressif de l'individu.

9. La génétique

Faut-il croire que les progrès de la génétique vont permettre de localiser la violence et d'agir sur elle ? Que seraient des clones génétiquement non-violents ? Peut-être serait-ce non seulement les priver de tout ressort et de toute liberté, mais surtout les désigner immédiatement comme victimes.

La violence est une énigme qui défie l'intelligence humaine.

 

Conclusion : Le désir peut exprimer aussi bien l'amour de la vie que la haine de la vie.

D. Desbornes. 2009.