Découverte de la philosophie
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L'Histoire

1. Analyses. reflexions sur la definition

2. Le premier travail de l’historien : la reconstitution

3. La causalité en Histoire - Quel est le moteur de l’Histoire ?

4. La difficulté pour l’Histoire d’accéder au statut scientifique

5.L’Histoire a-t-elle un sens ?

 

L'histoire au sens large est l'ensemble de tous les événements vécus par l’humanité, donc le passé humain.
L'histoire au sens précis est la connaissance du passé humain, c'est-à-dire des événements vécus par l’humanité.

Le passéPremier paradoxe : L'objet d'étude de l'historien est absent. En effet, le Passé : ce qui a existé, mais n’est plus là. Ce temps a complètement disparu. Il est "ailleurs", dans une dimension  inaccessible parce e temps est irréversible. Ü L'histoire n'a pas d’objet concret. "Réalité qui a cessé d’être." R. Aron

Humain : vécu par une conscience, perçu par une conscience humaine. Etude du passé du cosmos par exemple  n'est pas de l'histoire, elle relève de la science.

Evénement historique : Fait unique, daté, localisé. Retentissement sur une collectivité. Le problème se pose de savoir à partir de quand, de quelle épaisseur de passé, un événement appartient au passé. Il faut pouvoir en mesurer tout l'impact sur la société. Les historiens pensent qu'un événement peut être qualifié d'historique, après 50 ans. Question à discuter… 

Connaissance : trois sens, trois niveaux :

1. Décrire, raconter ce qui implique d'avoir pu reconstituer le passé dans un discours ou un texte. L'histoire  est d'abord un récit.

2.  Expliquer : comprendre les enchaînements, les causes, les conséquences, comprendre le moteur de l’Histoire.

3. Trouver le sens de l’Histoire, la signification, la finalité, l'orientation des événements, le but si l'histoire avance elle-même vers un progrès. Ce qui n'est pas évident.

L'homme se caractérise par son historicité, il est tissé par l’Histoire et par son histoire. Peut-il s’en dégager ? Avoir sur le passé un point de vue objectif ? N’est-il pas nécessairement impliqué ? L’histoire n’est-elle pas inséparable de l’historien ? Connaissance du passé, si cela est possible, permet-elle de gérer l’avenir ?

1. Analyses. reflexions sur la definition

Conséquences et implications de cette définition.

1.  Il n’y a pas d’histoire sans l’homme

Un golfe qui s’ensable, une étoile qui disparaît, ne sont pas des événements historiques, s'ils ne sont pas perçus par l’homme, s'il n'y a pas d’incidence sociale. Si le passage d'une comète "déclenche" le voyage de trois rois mages !, alors c'est un événement historique.

Les événements sont des faits connus d’un groupe, on en parle, on raconte. Ils entrent dans mémoire collective, puis on les écrit. Le passé de l'univers n'est pas de l'histoire, il relève du domaine scientifique.

2.  Pourtant il y a des hommes sans Histoire

Oui ! Dans les sociétés dites "primitives" fondées sur le Rite. Le rituel implique la répétition des mêmes gestes, actions, comportements de la vie. Les moules comportementaux sont préformés : les hommes changent de nom quand ils assument une fonction, ils prennent le nom attribué à la fonction. Cela ne signifie pas que ces sociétés n'aient pas de passé, mais qu'elles vivent dans la répétition du "même".

Lévi-Strauss appelle "sociétés froides" les sociétés non-historiques. Elles fonctionnent sur le modèle de l’Horloge. Circularité, répétition éternelle des fonctions. S’il arrive un événement, c’est-à-dire une action qui sort du rite prévu, la mémoire collective ne l’enregistre pas. Cf. chez les Nambikwaras, le jeune homme qui s'était approprié "la connaissance" de l'écriture. Evénement censuré dans le groupe.  La vie est rythmée par des tâches (=travaux) régulières, puis par l'accomplissement de fonctions selon l'âge, donc chacun à son tour.

Ces hommes ont un passé, mais pas d’histoire. Ils ne retiennent pas dans leur mémoire, donc dans leur récit du passé, les événements qui sortent de la tradition et du rite. Ils vivent dans la permanence du MYTHE.

 (Par opposition L.Strauss appelle "sociétés chaudes" les sociétés historiques. Modèle : "la machine à vapeur", qui produit du désordre dans la nature (entropie, pollution), et dans la société. Une machine à vapeur fonctionne sur l'antagonisme source chaude / source froide, de même les sociétés historiques créent un clivage dominants/dominés.)

Le MYTHE est un passé inventé. Les "dits primitifs" se racontent "des histoires" mais cela n'a rien à voir avec l'histoire. Il n'y a jamais rien de "nouveau".

3.   "Les gens heureux n’ont pas d’histoire" ?

Que signifie ce dicton ? Il sous-tend :

a. L'idée que bonheur implique une répétition régulière de la satisfaction des mêmes besoins, des mêmes désirs. La sécurité matérielle et affective,  Ü "ronronnement". Cf. paradis terrestre  ou le "Bon sauvage" de Rousseau. Nietzsche parodie cette idée en affirmant que le bonheur ne peut se trouver que chez les "vaches". Elles seules ont découvert "l'art de ruminer".

b. Ce qui s’écarte de cette immobilité répétitive et tranquille ne peut être que déstabilisateur et douloureux
Sur un plan général, cette conception implique vision pessimiste, voire tragique de l’histoire. Tout ce qui fait irruption dans la vie sociale implique souffrance, larmes, malheur.

4.  Que signifie "faire l’Histoire" ? Qui "fait" l'histoire ?

- Sens 1 : produire des événements dans la société, se révolter, tuer un tyran, prendre le pouvoir, etc. donc agir, être auteur des événements. En ce sens ce sont les hommes qui vivaient dans le passé. Mais lesquels? Les hommes politiques? les héros? le peuple?… Cependant derrière les hommes, n'y a-t-il pas des déterminismes cachés, le climat, des forces économiques…?

- Sens 2 : proposer une connaissance du passé, une vision, un point de vue. Elaborer des faits et en donner une explication. En ce sens, on peut dire que les historiens font l’histoire. En effet, ce sont eux qui  décident de ce qui est important, à dire, ou à gommer. Il y a d'ailleurs plusieurs "versions" du passé selon l'idéologie de l'historien.

4.  La théorie Hégélienne de l’Histoire  xix°  3 "étages".

a – "l’Histoire originale"

Des hommes témoins de leur temps racontent des actions, événements, qu’ils ont personnellement vécus. Ils transforment le vécu en "œuvre de représentation", en langage. Il existe une unité d’esprit entre l’écrivain et ce qu’il raconte. Par exemple : Hérodote (- V°), Thucycide (- V°), César (I°),  conquête de la Gaule racontée au jour le jour.

b – "Histoire réfléchissante"

= vue d’ensemble de l’Histoire de tout un peuple, ou d’un pays ou de l’art, de la religion, du droit, de la philosophie. (Au XX° Histoire de la cuisine, de la mode…)     = compilation fondée sur Historiens originaux.
= un monde reconstitué par la réflexion (et non une totalité vivante)

c – "Histoire philosophique" ou "universelle"

= Synthèse des synthèses. Selon Hegel, l'histoire est le "théâtre" où se déploie une volonté nécessaire, universelle, raisonnable, qui guide les peuples et les grands hommes, malgré eux, à travers leurs propres passions. Il appelle cette volonté RAISON ou IDEE ou ESPRIT. Une gigantesque force organise le réel et les sociétés humaines en "manipulant" les êtres, et oriente le DEVENIR. Ü Si l’on prend du recul, selon Hegel, l’on voit se dessiner un progrès incontestable dans l’Histoire. Du despotisme oriental, en passant par la démocratie grecque, puis par l'empire romain pour aboutir enfin au monde germanique, le progrès de la Raison est évident pour Hegel! (La dialectique du maître et de l’esclave est seulement un moment de ce processus. La conscience du maître est dans un premier temps  supérieure, elle domine l’esclave, condition nécessaire pour faire éclore chez l’esclave une valeur supérieure : la liberté qui prend le relais).

La "Raison" se sert des passions pour triompher. Hegel parle de  "ruse de la raison".

2. Le premier travail de l’historien : la reconstitution

Pouvoir décrire les événements du passé tels qu'ils sont arrivés.

1. Le document historique

L'observation directe du passé est impossible, puisque justement le propre du passé est de n'être plus là !  Mais il reste des traces. La connaissance est médiatisée c'est-à-dire  indirecte.

Le document est une trace, (ou marque sensible = perceptible aux sens), qu’a laissée un phénomène, impossible à refaire : Edifices, fresques, armes, monnaies, médailles, tombes, poteries, tissus, vêtement, bijoux, tapisseries, tableaux, inscriptions, toponymie (noms des lieux)…sont des documents très précieux pour l'historien.

Mais ce sont surtout les TEXTES (= écriture) qui permettent de reconstituer le passé avec plus de précision. En effet, ils donnent des noms, des dates, des lieux. Ils fixent les événements.  L'écriture naît à partir V° Millénaire en Chine et dans le Bassin Méditerranéen.
L'histoire commence réellement avec l'écriture.

Avant l'écriture, il est impossible de nommer les acteurs, les lieux, les dates exactes des événement. On appelle "protohistoire" ces longues périodes du passé dont on peut connaître les techniques, le genre de vie, quelques rites, mais pas les événements.

2.  Le problème de la sélection des documents

- La plupart des documents ont été détruits involontairement par la nature, les séismes, l'usure du temps, les  inondations, etc.…

- Destructions volontaires par l’homme : incendies de bibliothèques (Bibliothèque d’Alexandrie), guerres, massacres, vandalisme.. (Aurangzeb en Inde détruisait tout sur son passage).

  "Le document historique, c’est ce que les rats ou la chaise percée ont épargné" écrit Alain. Le tri et le choix de l’historien se font en fonction du lieu où il est, de la richesse ou de la pauvreté des archives, de ses goûts, de ses sympathies. Rôle du hasard dans les découvertes…

Ecart gigantesque entre les milliards d’événements historiques vécus réellement par des hommes et la pauvreté squelettique de quelques "témoins" rares et silencieux.

3.  Les documents peuvent être des "faux"

a.  A toutes les époques il y a eu des faussaires pour les collectionneurs. Cf. Cicéron. Cf. lettres de Marie-Antoinette fabriquée au  XX°. Quelquefois le faussaire imite par admiration

b.  Les "mensonges". On ment par vanité : vouloir laisser de soi une image flatteuse pour le futur. Les courtisans déforment les informations et créent des "rumeurs". La  diplomatie oblige souvent à mentir pour tromper l’ennemi : Par exemple  : Napoléon, pendant la Campagne de Russie faisait envoyer de Fontainebleau des lettres postdatées. On ment involontairement :  Les anciens soldats de Napoléon font des récits totalement contradictoires de leur campagne en Russie : certains racontent que la  Bérézina était gelée, d’autres se souviennent de la même Bérézina tumultueuse comme un  torrent ! !… Tite Live inventait des discours !

cL’erreur en toute bonne foi : problème du témoignage  Exemple du Congrès de Göttingen 1910  (relaté dans le Nouveau Précis de Philosophie de Cuvillier, P. 492).

Une expérience est faite lors d'un congrès de psychologues :

 "Non loin de la salle des séances, il y avait une fête publique avec bal masqué. Tout à coup, la porte de la salle s’ouvre, un clown se précipite comme un fou, poursuivi par un "nègre", revolver au poing. Ils s'arrêtent au milieu de la salle, s'injurient, le clown tombe, le "nègre" lui saute dessus, tire, et brusquement tous deux sortent de la salle."

Durée de la scène : 20 secondes, au centre de la salle. "Le président pria les membres présents d'écrire aussitôt un rapport, parce que sans doute, il y aurait une enquête judiciaire. Quarante rapports furent remis". Puis le président rassure tout le monde, la scène est un jeu, elle a été filmée pour permettre une analyse exacte des distorsions par rapport à la réalité.

Résultats : sur  40 rapports.  

- Moins de 20 % d'erreurs dans  1 seul rapport.

- De 20 à 40 % d'erreurs  dans 14 rapports.

- De 40 à 50 % d'erreurs dans 12 rapports.

- Plus de 50 % d'erreurs dans 13 rapports.

- En outre, dans 24 rapports, 10 % de détails ont été inventés donc étaient faux ! 

En bref "un quart des rapports dut être regardé comme faux."  Van Genne

 

Conclusion : Jamais un témoignage n’est objectif à 100 %.  D'où le problème pour les témoignages dans les procès.

 Vieil adage :

* "TESTIS  UNUS TESTIS  NULLUS"  = " Témoignage unique =  témoignage nul".
 
Mais si la similitude est parfaite, les témoignages n'ont aucune valeur non plus : Les témoins ont nécessairement copié les uns sur les autres. Par exemple, dans les procès de l’Inquisition, contre les sorcières, les témoins rédigeaient le même rapport sous menace de mort.

* Principe de la RESSEMBLANCE  LIMITEE.  Dans les différents témoignages sur le même événement, il doit nécessairement y avoir des concordances et des divergences. D'où le principe des analyses statistiques. L'historien tient compte d'un témoignage en analysant la fréquence des détails.

4.  Donc, nécessité de la critique Historique.

Il faut une méthodologie rationnelle, une approche "scientifique".  L'historien n'est pas  passif : il doit authentifier et faire parler le document . Comme  pour un inspecteur de police, chaque détail a son importance, il faut beaucoup d'esprit critique. Déjà au XVII° Spinoza propose déjà une attitude critique par rapport à la Bible : refus de la naïveté ou de la crédulité. Il convient de savoir décrypter. Exigence intellectuelle.

a. La critique EXTERNE :

Elle porte sur la matérialité du document. Est-il bien de l’époque concernée ? La réponse à cette question exige un travail scientifique. Laboratoire, vérifications expérimentales, techniques chimiques, rayons X, carbone 14, "dendrologie" (étude de l'âge du bois), palynologie (études des pollens), I.R.M. etc. Grâce à tous ces moyens on découvre de nombreuses supercheries. Encre Waterman ! pour des lettres "écrites" par Marie Antoinette au XVIII° avant d'être décapitée.
L'affaire récente du Suaire de Turin est encore loin d'être résolue. 

b)  La critique INTERNE porte sur le contenu, la signification des textes. Elle suppose de nombreuses comparaisons et confrontations entre les documents.

L'historien utilise ici des outils statistiques pour analyser la  fréquence des détails. (Voir plus haut).

5. La reconstitution des événements du Passé

a) Dans l’espace. Délimitation des zones géographiques touchées par les mêmes événements. Invasions, guerres, épidémies, idées, religions, techniques, langues, produits de consommation, etc.… Déjà un véritable puzzle !

b) Dans le temps. Délimitation des époques "larges tranches" Braudel.

Voici un tableau approximatif des grandes époques historiques. (Conception classique)

Grandes périodes historiques :

Voir page suivante :

Préhistoire ou protohistoire  à partir de  - 8.000 (à peu près).

Début de l'histoire à partir de l'écriture, dont la découverte varie d'une région à l'autre, vers – 5.000 ans en Chine et en Egypte.

Antiquité : du début de l'écriture  è 476. (Chute de l'empire romain d'occident).

Moyen-Âge

- De 476 à 1453, prise de Constantinople par les Turcs.

- De 476  à 1.000, Haut Moyen Âge.

- De 1.000 à 1453, Bas  Moyen Âge.

Histoire Moderne

- De 1453 à 1789,(Révolution Française).

- Du XV° au XVII° = Renaissance.

- Du XVII° au XVIII° = Période classique, en France et en Espagne = Période baroque, en Allemagne et en Italie.

Histoire contemporaine : XIX°  et XX°. 1914 Première guerre mondiale. 1939-1945, Deuxième guerre mondiale et jusqu'à aujourd'hui.

En réalité, ces cassures sont ARBITRAIRES.

La Nouvelle Ecole, dont F. Braudel est un représentant, parle de différents rythmes historiques : le temps géographique est différent du temps social, et encore différent du temps individuel.

De plus il faut prendre en considération différentes "strates" ou couches. Par exemple si l'on se place dans le domaine de la technologie, alors des découvertes telles que le harnachement du cheval ou l'invention moulin ont une portée économique capitale. Ce sont des événements très importants qui ne sont pas repérés comme tels par les historiens. Si l'on se place dans le domaine des institutions, alors au XIII°, la naissance de l’institution du mariage modifie la conception de l'héritage, de la dot… et introduit des changements très importants dans le statut de la femme. Enfin si l'on considère la strate  économique, au XII°, l'affranchissement des villes marque le début bourgeoisie. Tous ces événements ne sont pas pris en compte par les historiens classiques.

En réalité l'histoire se déroule un peu comme une symphonie musicale. Elle s'écrit sur une partition qui comporte plusieurs portées, avec des registres et des rythmes différents, comme la partition d'un grand orchestre.

c) Conclusion : Un Fait historique est une reconstitution, une élaboration, une vision abstraite de l’historien qui sélectionne, abrège, trie, simplifie, privilégie…

Le Fait historique n’est pas l’événement historique.

Evénement historique = action vécue, réalité, vie, millions de frémissements et d’émotions.

Fait historique =  connaissance que l’on en a. Cette connaissance est abstraite et squelettique.

Les Faits historiques ne sont pas des faits scientifiques. Parce que le temps est irréversible, JAMAIS aucun retour en arrière n'est possible pour pouvoir prouver ou vérifier quoi que ce soit. Jamais aucune certitude. Pas de preuve cruciale. Le fait historique est toujours fondé sur la confiance que l'on fait aux  témoignages et leur interprétation.

3. La causalité en Histoire - Quel est le moteur de l’Histoire ?

Problème de la compréhension de la nature de l’enchaînement des événements. Nature de la causalité ? Evénement fortuit ? (Grippe d’un chef d’Etat). Hasard ? Volonté des chefs ? Du Peuple ? Désirs ? Idées ? Climats ? Force militaire ?…

A . Une lecture superficielle de l’Histoire est désolante (pessimisme). L'histoire semble être le théâtre de la folie des hommes poursuivant leurs passions, leurs intérêts (vanité aveugle). Chaos désespérant. Cf. Shakespeare. L’histoire n’est "qu'un conte plein de bruit et de fureur, raconté par un idiot".  Sang, crimes, assassinats, larmes, désordre… Si l'histoire est un chaos alors on peut que "raconter" la succession des événements dans  des  annales (suite d'événements sans lien, sinon la chronologie).

B. Cournot (Mathématicien et philosophe 1801-1877) pose trois hypothèses :

a. Si l'Histoire est un chaos, pas de causalité. Imprévisibilité, pas de connaissance possible.

b. Si l'Histoire ressemble à une maladie ou une éclipse alors une évolution  est prévisible. On peut  analyser les symptômes, faire des prévisions, et établir des lois.

c. Si l'Histoire ressemble à un jeu d’échecs l'homme intervient avec sa volonté, son intelligence (rôle de la stratégie), il a un pouvoir sur le déroulement des événements. Mais qui manipule les pièces ? Les hommes politiques, les grands hommes, le peuple ? Quel est le degré de liberté ? (Autrefois, dans Chine Ancienne, le jeu d’échecs évitait l’affrontement des armées et permettait d'épargner le sang et la vie des soldats. Les deux chefs confrontaient leurs stratégies avec des modèles réduits de leurs armées, qui sont devenus les jeux d'échecs. Le vaincu était soumis, son armée était faite prisonnière).

C. Quelques types d’explications = de conceptions de la causalité en Histoire

1 - Explication classique = causalité politique.

Les rois, ministres, militaires et diplomates décident en haut lieu et font l’Histoire au niveau le plus élevé.

2 - Explication théologique.

Bossuet XVII°, qui rédigeait tous les sermons funèbre des "Grands" de ce monde en relatant leur histoire, affirmait que leurs différents destins étaient tracés par la volonté de Dieu.

3 - Explication par le hasard.

Pascal XVII°. "Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, la face de la terre aurait changé" (Marc Antoine, amoureux de Cléopâtre, a été vaincu par Octave, qui est devenu l’empereur Auguste).

4 - Explication par la Théorie des climats.

Montesquieu. 1689-1755 (XVIII)

5 - Explication par la personnalité des grands hommes.

Voltaire (XVIII°)

6 - Explication par la propriété privée.

Rousseau (XVIII°) Texte sur l’origine de l’inégalité.

7- Explication par l’inégalité des races.

Gobineau (XIX°) Théorie selon laquelle seul l’Aryen dolichocéphale est "pur" et supérieur. (En réalité les Aryens regroupaient différents peuples et différents caractères biologiques. Cf. cours sur le langage.) Influence de cette théorie sur le nazisme.

8 - Explication évolutionniste.

Auguste Comte : la théorie des trois stades ou états de l'humanité. L’humanité évolue nécessairement en passant par trois stades de maturation :

* Premier stade  : Le stade théologique, son enfance, caractérisé par l'anthropomorphisme. A ce niveau, l'homme explique le monde en projetant ses sentiments, il est animiste. Par exemple la tempête est  causée par la mauvaise humeur ou la colère de Neptune, l'orage vient de Jupiter… Il faut amadouer les dieux.

* Deuxième stade : Le stade métaphysique, son adolescence. C'est l'époque des grandes idées ou des principes abstraits et vides. Par exemple, la tempête est expliquée par le "dynamisme de l’air".

* Troisième stade : Le stade positiviste ou scientifique, son adultat (= stade adulte ou maturité). Enfin l'être humain explique le monde avec sa  raison.

9 - Explication idéaliste :

Hegel (XIX°). C'est l'Esprit, à travers les idées, qui mène le monde

10 - Explication matérialiste.

Marx (XIX°). Les hommes font leur histoire à partir des contraintes et des réalités concrètes. Le moteur de l'histoire est l'économie. Rôle du travail, de la lutte des classes. Importance de la masse laborieuse. Pour Marx, il est possible d’étudier scientifiquement l’économie (= infrastructures), donc à travers la maîtrise des processus économiques, l'homme peut maîtriser et orienter son devenir historique.

11 - Au XX° beaucoup d’explications se côtoient (polémiques)

* Ecole marxiste : A. Soboul. L. Fèbvre. Mathiez (Révolution française)

* Ecole structuraliste : grandes structures organisent les rapports au réel. Ex. Dumézil (le tripartisme). Foucault (Histoire de la Folie). Lévi-Strauss. (voir cours sur Anthropologie) (prohibition inceste, cru/cuit, etc.…)

* Ecole des Annales. Synthèse  marxisme et structuration. Wolff. Braudel

* Ecole tendance libérale. Comparaison avec la chimie. Beaucoup de paramètres, de conjonctures interviennent dans le déclenchement d'un événement historique. Problème des dosages, acceptation d’une multiplicité de causes et de facteurs comme déclencheurs d'un événement. Legoff. Duby.

* Histoire quantitative : nouvelle tendance. L'historien se sert de l’informatique. Il traite à l’ordinateur des "séries". Par exemple les dates de naissances et de décès, pour une période donnée, ce qui donne une indication sur les variations de la longévité, en fonction de la misère, des épidémies… ou encore les signatures des actes de mariages, d'où renseignements sur le degré d'alphabétisation de la population, l'alphabétisation des femmes par rapport à celui des hommes…

* Tendance psychanalytique. Explication par le Désir, (les ruses du désir), et par l’inconscient  personnel et collectif. Cf. G. Mendel (livre sur Hitler).  Norman O. Brown.

Pour trancher, il faudrait par exemple reproduire la révolution française et faire varier tous les paramètres. Pas Louis XVI, pas de pauvreté du peuple, etc.… et attendre !

L’impossibilité de trancher, c’est-à-dire de preuve cruciale implique que l’Histoire n’est pas une Science.

4. La difficulté pour l’Histoire d’accéder au statut scientifique

Le problème de la VÉRITÉ en Histoire

1. La réalité historique est "irréelle"

Le réel atteint par la connaissance historique n’a jamais existé. Il y a un décalage énorme entre vision de l’historien, sa représentation abstraite, irréelle et l’existence sensible concrète de l’événement réel. Jamais aucune bataille n’a été vécue comme elle est décrite. (Froid, chaud, fatigue, pluie, bruits, hennissements des chevaux, inquiétude, ami blessé, perdu, crampe, sueur, cheval effrayé, etc.… ignorance de l’issue de la bataille, imprévisibilité de chaque seconde, tension, angoisse…)
L'historien est en dehors de l'événement réel. Il est en recul par rapport au temps et par rapport à l’espace de l'événement. Il n’y était pas, il n'y est pas au moment où il le reconstruit.

Ü sa découpe de l’événement a quelque chose d’irréel, c’est une forme, son point de vue est synoptique (synthèse, recul). La bataille de Waterloo vécue est différente de la bataille de Waterloo connue ! (Voir plus haut la différence entre l'événement historique (vécu) et le fait historique (reconstitué, donc abstrait).

2. L’Historien n’est pas complètement objectif.

L'idéal de Fénelon : "L’historien doit n’être d’aucun temps ni d’aucun pays" est impossible,  irréalisable. Nous sommes tissés par l'histoire. Le passé nous habite (inconscient collectif, héritages, coutumes, langage, etc.). "L’histoire est inséparable de l’historien", Marrou, de son histoire personnelle et de l’époque à laquelle il vit. Michelet, pour écrire sur le Moyen Age s'enferme et se coupe de toute vie sociale, mais sa vision du passé est imprégnée de romantisme. Il est profondément marqué par la manière de voir de sentir et de penser du XIX°.

Il existe chez tout historien un coefficient de subjectivité. (Cf. en ethnologie aussi). Rôle de la sympathie, de son imagination.

 

3. La critique historique : le travail de reconstitution, lui, a un statut scientifique

En effet : (Notions déjà vues plus haut)

a) Critique externe implique analyses chimiques, expérimentations, tests. Ce sont des scientifiques qui authentifient.

b) Critique interne implique outil statistique pour vérifier si une fréquence est signifiante ou pas.

4. Mais l’Histoire n’est pas (encore ?) une Science

Science

Histoire

1- objet cernable, présent.

1- objet :  le passé. disparu

2 -quantifiable : (exprimable dans un langage
                            logico-mathématique)

2- non quantifiable.(Evénement de nature
        qualitative: (nom des individus,
          des lieux etc.…) = non mathématisable.

3 - Expérimentable pour vérifier
pouvoir répéter.
4 Dégagement de LOIS.

3- non vérifiable, non répétable. temps irréversible.
Evénement historique : UNIQUE.
4 Liberté Humaine. Imprévisibilité.

Conclusion :

- l’histoire "est une connaissance sans être une science".  Schopenhauer

- L'histoire est "une clinique sans pratique",   "une sorte de Roman".  Granger

 Importance de l’idéologie. Polémiques sans fin.

5. L’Histoire a-t-elle un sens ?

Quelques hypothèses :

(sens : 1 = une orientation ou  sens 2 = une signification) = problème du progrès.

1.  Grèce Antique.  Oui, mais incompréhensible par les hommes. Forces surnaturelles manipulent les hommes comme des marionnettes. Ils sont totalement impuissants : DESTIN (= FATUM en latin)= FATALITÉ

2.  Tradition Judéo-chrétienne.  Oui. L’Histoire commence par une CHUTE hors du paradis. Mais Dieu oriente l’Histoire, vers une remontée, une Rédemption : (un rachat) : un salut possible : prix à payer (si l’homme veut bien) pour une ascension. A la fin des temps, APOCALYPSE, Jugement divin : ESCHATOLOGIE = conception Linéaire et ascensionnelle.

3.  Tradition orientale.  Oui et non. L’Histoire avance, mais le temps est cyclique Ü tourne en rond.

4.  Conception de PLATON. Temps cyclique. Cf. Mythe du Pendule de Torsion. Le temps tourne dans un sens, accélère, s’arrête, repart lentement dans le sens inverse, indéfiniment.

Age d’or, d’argent, de fer puis on remonte

L'histoire n’a pas de sens véritable. L’homme trouve le sens en sortant du temps et de l’histoire.

5.  Conception de KANT. Oui. Humanité progresse lentement du point de vue MORAL (même s'il y a de brèves interruptions). Idée qu’un perfectionnement de l’espèce Humaine est possible. Rôle de la RAISON PRATIQUE. Idéal de respect universel. Réalisable à très long terme. Nous n'avons pas assez de recul dans le temps pour mesurer ce progrès.

6.  Conception de Rousseau.  Non. Histoire a la forme d’une parabole. De la nature à la Société Naturelle (celle du "bon sauvage") – épisode du puits autour duquel naît l'amour - un progrès énorme s'est accompli, mais de la Société Naturelle à la Société Civile, - moment de la clôture autour d'un terrain - il y a chute, corruption et déclin du genre humain.

7.  Conception de HEGEL.  Oui. Histoire théâtre où la RAISON se déploie et se manifeste. (Déjà vu.) = conception quasi-THEOLOGIQUE

8.  Conception de MARX.  Oui. Tant que les hommes n’ont pas compris les mécanismes de l’Histoire, ils en sont les jouets, mais les hommes peuvent passer de la préhistoire (= histoire subie) à l’Histoire en la gérant, en la dirigeant, en l’orientant eux-mêmes vers le Progrès technique, scientifique et social.

Pour cela : nécessité de comprendre et de maîtriser l’économie.

L'homme a la liberté de forger lui-même son destin.

C’est à l’homme de donner un sens à l’Histoire.

9.  Conception de Nietzsche. Non. Théorie du retour éternel. Anarchisme métaphysique. La vie n'a elle-même pas de sens.

10.  Conception de Teilhard de CHARDIN. Oui. Evolution du cosmos tout entier orientée, de l'alpha à l'oméga. L'humanité n’est qu'un maillon Ü L’Histoire n’est qu’une étape de ce processus de spiritualisation universelle. (cf. cours Anthropologie) = progrès vers le divin.

11.  Conception de Lévi-Strauss. Non. Evolution en dents de scie. Négation du progrès. Si l'évolution a été très rapide depuis le XVII°, cela ne veut rien dire. Trois siècles ne représentent qu'une durée infiniment courte par rapport à celle de l'histoire. L’Humanité peut parfaitement régresser d'un seul coup, puis progresser à nouveau. La notion de progrès n'est qu'un mythe.

CONCLUSION : A quoi  sert l’Histoire ?

1.  A rien : "L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré[…]  il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, et rend les nations amères, superbes (=orgueilleuses), insupportables et vaines". P. Valéry. Regard sur le monde actuel.

2.   Leçons de sagesse ou de morale ? non ! Pourtant elle élargit notre expérience ! "L’histoire justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et donne des exemples de tout". P. Valéry (idem). (Cf. test de Rorschach – les taches d’encre, dans lesquelles le sujet voit ce qu'il veut, en fonction de ce qu'il est) 

3.  Elle est utile et indispensable. Selon Marx. La connaissance du passé qui permet la compréhension  de la structure du passé donne le pouvoir de gérer l'avenir = Liberté = Progrès

4.  En réalité, le passé explique le présent Ü prise de conscience de son identité culturelle. Le souvenir du passé peut empêcher répétition. D'où le devoir de mémoire. Cf. Freud, le rôle de l'anamnèse en psychanalyse.

5.  En ce moment, importance des médias, des journalistes "témoins" des événements. Historiens du présent ? Possibilité d’une prise de conscience. Les journalistes ne "font-ils" pas l’Histoire à leur manière ?

D.Desbornes. 2009